Les femmes des cavernes fuient les ondes

Le Dauphiné Libéré   SAINT JULIEN EN BEAUCHENE (HAUTES-ALPES)

“Nous sommes des handicapées en fuite”, témoignent Anne Cautain et Bernadette Touloumond. Le DL / VIRGILE

Nous sommes des handicapées en fuite”, témoignent Anne Cautain et Bernadette Touloumond. Le DL / VIRGILE

L’enfer est froid et humide. Anne Cautain et Bernadette Touloumond vivent au fond de la grotte de Baumugnes, à Saint-Julien-en-Beauchêne (Hautes-Alpes), hameau reculé d’un village perdu. Elles ont échoué là, après une longue errance, repoussées par les champs électromagnétiques. Anne et Bernadette sont électrohypersensibles, un mal nouveau, méconnu, que la société veut encore ignorer.

Anne, 55 ans, vivait toujours à Nice il y a deux ans. Deux filles, une vie ordinaire. Elle est agent de service dans une résidence universitaire depuis dix-sept ans lorsque les premiers symptômes apparaissent. “D’abord des tiraillements derrière la tête, une rigidité au niveau du crâne, une pression très forte dans le cerveau, les veines qui gonflent…” Autant de troubles qui cessent dès qu’elle quitte son lieu de travail. Mais qui deviennent à ce point intolérables que c’est bientôt son emploi qu’Anne doit abandonner.

Débute alors une errance de six mois. La Niçoise commence à se sentir mal dans son appartement cerné par les antennes-relais. C’est pire dans le logement de celui chez qui elle se réfugie. Picotements et sensation de brûlure sur la peau, visage écarlate, pertes de mémoire, de concentration et d’équilibre, troubles digestifs permanents : le mal empire et aucun médecin n’y comprend rien.

L’ennemi est partout

Le cas de Bernadette Touloumond laisse les médecins tout aussi sceptiques. Ils ne s’expliquent pas pourquoi l’ex-hôtesse de l’air voit sa santé se dégrader à petit feu, entre douleurs à la jambe, problèmes digestifs et intenses fatigues. Désemparée, elle décrit au jour le jour, dans un carnet, les troubles et leurs circonstances. “Écrit deux e-mails ; douleurs”, note une fois la Parisienne. “Serait-ce l’ordinateur ?”, se demande-t-elle un jour qu’elle a mal aux cuisses après avoir gardé son portable doté du Wi-Fi sur les genoux. Un soir, le doute n’est plus permis : après s’être forcée à travailler plusieurs heures sur Internet, elle est victime d’une crise de douleurs aiguës accompagnées d’acouphènes. Les ordinateurs sont en cause, Bernadette en est sûre. Grâce à l’association Robin des Toits, elle va apprendre que ce sont même les ondes électromagnétiques en général – téléphones portables et sans fil, Wi-Fi, TNT… – qui tourmentent ses semblables et elle.

En ville, l‘ennemi est partout. Alors direction la Corrèze, sa nature préservée. Mais dans le hameau de cinq maisons vivent deux médecins très connectés. De retour forcé à Paris, Bernadette vit huit semaines de cauchemar sans sommeil, enroulée dans huit mètres de tissu comme le lui a conseillé un autre “EHS”, à chercher un endroit où elle se sentirait moins mal. “Mon appartement me servait de camp de base, j’allais prendre mes repas dans des cimetières, se souvient-elle. On ne peut plus rencontrer d’amis, ce n’est plus possible. Un seul portable, même éteint, ça me pourrit la vie”.

Zones “blanches” : la solution ?

Pendant ce temps, Anne Cautain va d’échec en échec. “J’ai essayé la cave, la voiture, une cabane à jardin dans la chambre. On ne savait plus quoi faire de moi”. Elle se fait arracher ses pivots dentaires, qui lui donnaient “une sensation d’électricité dans la mâchoire”. Elle vit deux mois dans une voiture tapissée de couvertures de survie, dont elle ne sort que pour prendre des bains d’1 h 30, car l’eau – comme les arbres – la “décharge”. Se retrouve un jour avec une casserole sur la tête, dont le métal la protège des ondes… “On peut comprendre que les gens prennent les électrohypersensibles pour des fous ! Je savais que j’étais ridicule, mais dans ces cas-là, on est comme un animal”.

Anne dépérit, perd 14 kilos. C’est alors que sa fille Laure l’amène dans un boyau souterrain – “un miracle” – pour l’intéressée, débarrassée des ondes. Ne reste “plus” qu’à dégotter une cavité à habiter. Après moult péripéties, Anne Cautain arrive à Baumugnes en août 2009. Bernadette la rejoint un an plus tard. Des bâches limitent le ruissellement, mais il fait froid, jusqu’à -3 °C l’hiver. Anne et Bernadette sont emmitouflées toute l’année dans des gros pulls. Elles s’éclairent à la bougie car Bernadette ne supporte plus le courant électrique…

Une cuisine a été aménagée à l’entrée de la grotte, mais les deux femmes ne peuvent plus s’y éterniser, car même au fin fond de la vallée du Buëch, les ondes gagnent. Cet été, Anne a vécu dans un gîte de l’ONF, perdue dans la montagne haut-alpine. Las, un nouveau champ électromagnétique l’a contrainte à retourner à la grotte. “Avec la multiplication des sources, notre territoire se rétrécit”.

En lien avec la préfecture des Hautes-Alpes, Anne Cautain continue ses essais dans des cabanes forestières. Bernadette, moins en forme et qui veut garder une vie sociale, attend qu’une hypothétique zone “blanche”, vierge d’ondes, soit créée. “On voudrait une zone sûre, reconnue par les pouvoirs publics. On en a marre d’errer”. Car si leur enfer n’est pas dans la grotte, mais bien à l’extérieur, elles veulent quand même en sortir.

le 04/12/2011 à 06:01

Source : http://www.ledauphine.com/hautes-alpes/2011/12/03/les-femmes-des-cavernes-fuient-les-ondes

Facebooktwitterlinkedinmail