Aéroports fermés : qui veut la peau du principe de précaution ?

rue89_logo-copie-1.gif  Par Corinne Lepage | Présidente de Cap21 | 21/04/2010 | 13H01

C’est devenu une véritable habitude. Désormais, lorsqu’il faut trouver un bouc émissaire à une décision gouvernementale qui gêne, qui déplaît, qui coûte cher, c’est la faute au principe de précaution.

Cette ritournelle prend appui sur une définition complètement fausse du principe de précaution, et est instrumentalisée par tous les lobbys qui ne cessent de vouloir la mort du principe de précaution. Au passage, on observera que les entreprises allemandes vivent avec le « vorsorgeprinzip » depuis 1970, et cela ne les empêche guère d’être les premiers exportateurs mondiaux.

Principe précaution Vs principe de prévention

Tout d’abord, les médias comme les politiques entretiennent une confusion entre le principe de précaution et le principe de prévention, et cette confusion est savamment orchestrée.

Le principe de prévention vise à prévenir les risques dont on connaît les conséquences mais dont on ignore la probabilité.

Le principe de précaution concerne les risques non avérés, essentiellement dans le domaine technologique, dont on ignore s’ils existent et quelle serait leur réalité.

Le nuage venu d’Islande risque de causer des dommages parfaitement inventoriés à des moteurs d’avion, et par là même de provoquer des catastrophes aériennes. Interdire aux avions de voler relève donc à l’évidence du principe de prévention, et non du principe de précaution.

De la même manière, l’interdiction faite à des personnes de vivre dans des zones dangereuses car menacées par des submersions relève de la prudence et de la prévention et en aucune manière de la précaution.

En effet, chacun sait ce qu’est une inondation ou une crue massive. L’incertitude ne porte pas sur leurs conséquences mais sur leur ampleur, et les prévenir relève bien de la prévention et non de la précaution.

Tuer le principe de précaution

Dès lors, cette logorrhée de précaution cache en réalité un tout autre objectif : décrédibiliser dans l’opinion publique le principe de précaution.

Ce principe gêne en effet considérablement de nombreux lobbys dans la mesure où, s’il était appliqué, il les contraindrait à engager des sommes importantes dans la recherche des conséquences négatives que leurs produits ou services pourraient, avoir avec le risque supplémentaire que cette recherche aboutisse à mettre en exergue de véritables dangers qui rendraient impossible la commercialisation du produit.

Il faut donc à tout prix tuer ce principe auquel l’opinion publique adhérait massivement à la suite des multiples crises sanitaires liées précisément à l’absence d’application du principe de précaution.

Les premières tentatives datent en France de la charte de l’environnement et il suffit de relire les cris d’orfraie du Medef pour comprendre combien le sujet était sensible pour les entreprises du CAC 40. Elles ont échoué.

Les deuxièmes tentatives, notamment illustrées par Claude Allègre, ont cherché à ramener à l’obscurantisme ce principe, pour des raisons prétendument scientifiques, alléguant que son respect nous ramènerait dans des cavernes et qu’il était opposé à la science.

C’est évidemment tout le contraire puisque le principe de précaution conduit à approfondir les recherches que précisément les amis de M. Allègre n’ont pas envie de conduire pour les raisons exprimées ci-dessus.

Nous sommes donc à la troisième tentative, celle qui consiste à instrumentaliser des choix politiques contestés pour essayer d’illustrer les « erreurs », voire les errances auxquelles conduirait le principe de précaution. C’est une parfaite mauvaise foi, mais nous savons depuis longtemps que tous les moyens sont bons… pour certains.

Arrangeant bouc émissaire

On ajoutera une donnée supplémentaire plus profonde. L’affaire du nuage islandais nous ramène à une condition humaine d’une extrême fragilité au regard de la force de la nature. Nous sommes contrariés à la fois matériellement dans notre activité économique quotidienne, mais aussi métaphysiquement, puisque l’homme trouve plus fort que lui.

Notre société contemporaine ne peut pas le supporter et ne peut pas supporter d’être gênée dans son activité. Il lui faut donc trouver un bouc émissaire, un responsable. Comme il paraîtrait absurde de mettre en cause le volcan lui-même, ce qui serait quelque part reconnaître cette infériorité, il faut alors mettre en cause les mesures de prudence élémentaires qu’impose la situation.

Et d’une pierre deux coups : essayer une bonne fois pour toutes de tordre le cou de cet « infâme principe de précaution » qui, par-dessus le marché, couplé à la responsabilité, pourrait conduire les grands lobbys à supporter les conséquences des technologies qu’ils ont choisies, indépendamment des conséquences négatives qu’elles pourraient avoir.

Ce serait tellement mieux si on pouvait continuer à ne pas se préoccuper de ces « broutilles » et n’être responsable de rien, puisque l’état des connaissances ne permettait pas de savoir ni d’imaginer qu’il puisse y avoir des conséquences négatives à ses choix, situation d’autant plus facile à installer qu’il n’existerait aucune obligation de faire préalablement quelques recherches que ce soit pour savoir si des risques sont à envisager.

Chacun sait bien qu’on ne risque pas de trouver ce qu’on n’a pas cherché !

Des lors, climato-sceptiques, écolo-sceptiques, humano-sceptiques de tous les pays, unissons-nous et achevons cette torpille dirigée contre nous qui s’appelle le principe de précaution.

Formulée ainsi, la remise en cause du principe de précaution apparaîtrait-elle à nos concitoyens aussi présentable et souhaitable ? On peut en douter.

Source :  http://www.rue89.com/corinne-lepage/2010/04/21/mais-que-vous-a-fait-le-principe-de-precaution-148311

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Voir aussi : http://www.rue89.com/2009/04/24/ondes-le-principe-de-precaution-ne-suse-que-si-lon-sen-sert

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