Mauvaises ondes 28/05/2013 à 13h21
Chez Sophie, électrosensible mais pas dérangée
Sophie chez elle, dans l’Essonne, le 23 mai 2013 (Audrey Cerdan/Rue89)
La vie de Sophie a commencé à se rétrécir en septembre 2010, peu après le retour des grandes vacances. Presque chaque nuit, vers 2 heures du matin, elle se réveille en sursaut, puis ne parvient que très péniblement à se rendormir.
Au bout d’un mois d’insomnies, l’ingénieure de 40 ans, en pleine ascension professionnelle, se trouve épuisée, fait de la tachycardie, a des troubles de la mémoire. Sophie consulte son généraliste, qui lui prescrit un bilan sanguin et du magnésium. Rien à signaler. Bonne nature, grosse dormeuse, elle n’a aucune raison particulière d’être stressée et ne voit pas ce qui peut lui arriver.
« Comme si un flux me traversait »
Elle tient malgré tout jusqu’à Noël, avec la trêve des confiseurs elle a « l’impression que [s]on cerveau se remet à fonctionner ». Puis, en janvier, ses troubles repartent de plus belle. Elle remarque que certaines douleurs à la nuque et à la tête sont plus aiguës lorsqu’on téléphone près d’elle.
Un soir, elle roupille sur le canapé, pendant que son mari essaie son tout nouveau mobile. Il fait un mouvement, et là, elle sursaute :
« Je me suis sentie comme irradiée, comme si un flux me traversait. C’est compliqué à expliquer. »
Circonspect à l’idée que ce puisse être une réaction aux ondes, son mari propose un grand tour en voiture. Il lui fait mettre un bonnet sur les yeux et observe ses réactions pendant une heure. Verdict :
« Dès que je ne me sentais pas bien, mon mari a constaté que c’était à proximité d’une antenne ou d’un transformateur électrique. »
En regardant les symptômes de l’électrosensibilité sur Internet, Sophie se dit : « Pourvu que ce ne soit pas ça. »
Dans l’attente d’une « vraie » étude clinique
Elle nous a reçues dans le pavillon en meulière où elle est installée avec son mari, au cœur d’un petit village tranquille de l’Essonne. Seuls quelques aménagements intérieurs laissent voir que sa vie est ponctuée par ce handicap.
Dans la chambre de Sophie, un rideau agrémenté d’aluminium, pour limiter l’entrée des ondes (Audey Cerdan/Rue89)
Pour beaucoup, l’hypersensibilité aux ondes, ce sont ces gens qui se réfugient dans des grottes, s’enferment dans des cages de Faraday, semblant rejeter la civilisation dans sa globalité. Une phobie de quelques dérangés qui n’arrivent pas à mettre un nom sur leur dépression, en somme.
Reconnaissance
L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a lancé une expertise de long terme sur les effets des radiofréquences et conclut pour l’instant à l’« incertitude » quand à la relation de cause à effet entre l’exposition aux champs électromagnétiques d’extrêmement basses fréquences et les leucémies infantiles. Elle se penchera sur l’hypersensibilité l’an prochain.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a jugé [PDF] en 2011 que les ondes étaient peut-être cancérigènes.
« Je n’y crois pas », me répond-on régulièrement quand je dis enquêter sur le sujet… Les malades, eux, aimeraient bien que ce ne soit pas une affaire de croyance mais de science dure, que les médecins connaissent les symptômes et sachent diagnostiquer.
C’est pour faire comprendre que sa maladie n’est pas psychologique que Sophie a accepté de prêter son visage et de nous faire entrer dans sa maison. Elle attend une vraie recherche clinique permettant de mesurer la sensibilité aux ondes, et pas ce qu’est en train de faire le professeur Choudat à l’hôpital Cochin, à Paris. Son collègue du collectif des électrosensibles, Manuel, explique pourquoi il ne faut rien en attendre :
« Les patients qu’il suit tiennent un journal de bord, indiquent comment ils se sentent, et ensuite on regarde le dosimètre qui leur a été confié pour voir quand ils ont été exposés.
Mais comme on leur a confié un dosimètre qui ne mesure que certaines gammes de fréquences et n’est pas adapté aux émissions de faibles niveaux ou de courte durée qui impactent les électrosensibles, on conclura que leur mal est psychologique. Ce que pense le professeur Choudat depuis le départ. »
« Mon cerveau était en danger »
Les symptômes se développent et deviennent de plus en plus clairs : des douleurs aiguës dans la poitrine et la nuque apparaissent lorsqu’on téléphone près d’elle ou qu’elle passe à côté d’une antenne.
Elle pensait que 40 ans était « l’âge où la vie commence » et elle va devoir enchaîner les arrêts de travail, jusqu’à la reconnaissance de son handicap. Ses trois premières semaines d’arrêt maladie, elle les passe à dormir et récupère lentement. « Par moments, j’avais 80 ans et comme un début d’Alzheimer », résume-t-elle.
Grâce à des séances chez l’ostéopathe, elle parvient à reprendre le contrôle de son rythme cardiaque. Son entourage l’épaule et son généraliste l’oriente vers le professeur Dominique Belpomme, président de l’Association pour la recherche thérapeutique anticancéreuse (Artac), l’un des rares à reconnaître les électrosensibles [voir le document ci-contre].
L’encéphalo-scan montre que le débit sanguin dans certaines zones du cerveau est insuffisant. Sur ses analyses sanguines et urinaires, le médecin observe un effondrement de la vitamine D et d’une protéine S100b, marqueur de souffrances cérébrales.
Sophie tente de retravailler, alternant arrêts maladie, télétravail, congés. Mais au retour des grandes vacances 2011, en à peine une semaine au bureau, les troubles repartent de plus belle.
« Comme on refusait d’aménager mon poste pour que je sois moins exposée, j’ai décidé d’arrêter les frais, mon cerveau était en danger. »
Sophie montre l’un de ses électroencéphalogrammes (Audrey Cerdan/Rue89)
Au bout de trois mois d’arrêt maladie, son traitement de fonctionnaire est divisé par deux, et elle touche actuellement le tiers de son salaire.
La maison départementale des personnes handicapés de l’Essonne où elle a déposé un dossier médical lui a reconnu fin 2012 le statut de travailleur handicapé, mais sans allocation.
Sophie demande à reprendre son emploi, à condition d’avoir un mi-temps thérapeutique, de pouvoir faire du télétravail, et de changer de bureau. Elle espère surtout que la justice admettra le statut de « maladie professionnelle ».
Des milliers d’euros de dépenses
Depuis deux ans, Sophie a aménagé sa vie en fonction de son électrosensibilité :
« Je vais mieux car je fais attention à moduler les périodes où je suis exposée avec des périodes de repos. »
Elle évite de se rendre plus de deux fois par semaine à Paris. Quand elle y va, par exemple pour chercher son extrait de papaye fermentée (un antioxydant) au meilleur prix, elle peine à monter les escaliers, a des rougeurs et mal à la poitrine.
Fini les concerts toutes les semaines et la vie à 100%, désormais son but quotidien est, dit-elle, de se « maintenir au-dessus de la ligne de flottaison ». Quand elle parle de son état, c’est comme s’il oscillait, à l’instar des ondes, entre des moments de bien-être, et d’autres où ça ne va pas du tout. Tout cela ne l’a pas rendue dépressive, mais un peu philosophe :
« La bonne nouvelle c’est qu’on peut aller mieux et devenir moins sensible en faisant attention, surtout si on se prend en charge dès le début. La mauvaise nouvelle c’est que l’organisme semble conserver une mémoire de ce à quoi il réagit et qu’il est prêt à repartir en vrille à la moindre occasion. »
Elle a dépensé quelques milliers d’euros dans l’aménagement de sa maison. Les huit premiers mois, elle a bricolé un baldaquin avec des couvertures de survie (dont la fine couche de métal atténue les ondes venues de l’extérieur) au-dessus du canapé-lit du salon.
A gauche, l’une des fenêtres de Sophie agrémentée d’un voilage métallique, pour limiter la pénétration des ondes ; à droite, Sophie montre un foulard tissé à base de fils métalliques, créé pour arrêter les ondes électromagnétiques (Audrey Cerdan/Rue89)
Puis, elle a fait installer un isolant spécifique dans la toiture, recouvert ses fenêtres de grillage type moustiquaire, remplacé les lampes fluo-compactes par des ampoules incandescentes, mis de l’aluminium sur le compteur électrique et la fenêtre près du lit…
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