Crédits photo: Une antenne-relais à Nice. (Reuters/Eric Gaillard)
“Electro-hypersensibles”, ils ne supportent plus les ondes émises par les portables ou les antennes relais. Réfugiés dans des bois ou en montagne, ils réclament d’urgence l’instauration de “zones blanches”.
Philippe Tribaudeau a garé son camping-car dans le vallon de Combeau, dans le Vercors, à 1400 mètres d’altitude. Le décor est grandiose. Ici, pas une antenne relais ni une borne wifi à des kilomètres à la ronde. « Je ne sais pas combien de temps je vais tenir, j’ai déjà été coincé une fois par la neige »,raconte-t-il. Il a passé l’hiver dernier dans la forêt de Saoû, dans la Drôme. A l’abri des ondes. Cet été, une vingtaine d’autres personnes « électro-hypersensibles » (EHS) l’y ont rejoint. Mi-octobre, le conseil général de la Drôme, propriétaire de la forêt, a ordonné leur expulsion.
Professeur de technologie en Bourgogne, Philippe Tribaudeau s’est mis à« brûler » en mars 2008.
« Il y avait vingt ordinateurs dans la salle. Au début, je cuisais au bout d’une journée, puis au bout de quatre heures, deux heures. »
Peu à peu, les symptômes s’aggravent. Sensations de brûlure mais aussi de paralysie, nausées, douleurs, insomnies, troubles de la concentration… « Un jour, vous réalisez que vous n’allez plus pouvoir vivre comme avant, explique-t-il. Vous sombrez, c’est un trou sans fond. » L’Education nationale le met en disponibilité sans solde. Mais en janvier dernier, il doit tout quitter. Maison, famille, amis. Depuis, il vit dans des bois, des combes… Sa femme le ravitaille lors de ses congés.
« Je suis à nouveau heureux, dit Philippe Tribaudeau. Je suis libre, dehors. Quand on se découvre EHS, soit on se tire une balle dans la tête, soit on essaie de refaire sa vie. »
Ce lundi de novembre, il a quitté le Vercors pour la seule « zone refuge » de France, dans la Drôme. Quelques mètres carrés et une caravane protégés des champs électromagnétiques artificiels, où ceux qui le souhaitent peuvent séjourner.
« Loin des ondes, je suis en pleine forme, mais ma vie sociale est réduite à zéro »
Béatrice Merle a atterri ici après l’expulsion de la forêt de Saoû. Il y a quelques mois, elle pouvait encore vivre dans sa caravane, dans le pré de son compagnon. Depuis l’installation d’une antenne 3G à proximité, c’est impossible. « J’étais taxi ambulancière, raconte-t-elle, j’avais mon portable avec moi toute la journée. A partir de 2007, j’ai été très perturbée. J’avais peur de conduire, je pleurais tout le temps… » On la décrète dépressive jusqu’à ce qu’elle fasse le lien, par hasard, lors de balades, entre les ondes et ses « 400 symptômes ».
Suivie par un psychiatre, Béatrice Merle a d’abord touché des indemnités de la Sécurité sociale. Aujourd’hui, les médecins assurent que son état est stabilisé ; ses indemnités vont cesser.
« Quand je suis loin des ondes, je suis en pleine forme, explique-t-elle. Mais ma vie sociale est réduite à zéro. »
Quelques milliers d’EHS en France
Considérée comme un handicap en Suède, l’électrosensibilité n’est pas reconnue en France. Lors du Grenelle des ondes, en mai 2009, la ministre de la Santé Roselyne Bachelot a simplement appelé au principe de précaution, recommandant un « usage modéré » du portable pour les enfants.
Selon les associations, les EHS seraient déjà quelques milliers en France. Parmi eux, Isabelle qui survit dans sa cave, Olivier qui dort dans sa voiture dans son parking souterrain, trois femmes qui vivent dans une grotte…
« Nous menons un combat, insiste Philippe Tribaudeau. Nous, EHS, ne sommes rien. Des SDF, des bêtes au fond des bois… Nous voulons juste quelques hectares pour pouvoir vivre normalement. Mais face aux milliards de bénéfices des opérateurs de téléphonie, quel poids avons-nous ? Combien faudra-t-il d’EHS, combien de cancers dus aux ondes, pour que l’on dise stop ? »