Portables : abus sur toute la ligne
PUBLIÉ LE 07/08/2010 11:03 – MODIFIÉ LE 07/08/2010 À 11:05 | PHILIPPE RIOUX
Les opérateurs font tout pour nous faire rester chez eux et ne pas aller voir les concurrents…/ Photo DDM, Michel Labonne
Deux ans après l’entrée en vigueur de la loi Chatel qui avait pour objectif de donner aux consommateurs plus de liberté pour changer d’opérateur de téléphonie mobile et fixe, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) tape du poing sur la table. Dans un rapport remis au Parlement, le gendarme des télécoms estime que la loi du 3 janvier 2008 a eu peu d’impact sur le marché. « Les dispositions de la loi n’ont été que partiellement appliquées par les opérateurs et les modalités de leur mise en œuvre appellent certaines critiques », estime l’Autorité dans son rapport de 54 pages. L’Autorité « constate par ailleurs que la concurrence demeure limitée, les consommateurs restant majoritairement engagés sur des périodes longues chez leurs opérateurs. »
L’Autorité dénonce ainsi de trop grands écarts – jusqu’à 6 euros – entre les abonnements mensuels calculés à partir des durées d’engagement de 12 mois et de 24 mois. Les tarifs étant plus intéressants pour un engagement de deux années (réduction sur l’abonnement mensuel), les consommateurs se sentent orientés vers cette durée. L’Autorité souligne par ailleurs, sans les dénoncer pour autant, « les politiques des opérateurs incitant au réengagement (par l’attribution de points de fidélité supplémentaires, des appels du service clients, etc.). »
L’objectif étant bien sûr pour les opérateurs de conserver leurs clients, à l’heure où la quasi-totalité des Français est équipée d’un téléphone mobile (51,2 millions d’abonnés fin 2009). « Cela réduit l’intensité concurrentielle, le client se réengageant pour ne pas voir sa facture augmenter le mois suivant, sans avoir profité d’une période où il n’est plus sous engagement pour comparer les offres du marché », note finement l’Arcep. De fait, le changement d’opérateur, même s’il est plus facile qu’autrefois, n’est qu’en très légère augmentation.
Afin d’améliorer l’efficacité de la loi Chatel, l’Arcep propose plusieurs mesures (lire ci-contre) et appelle les opérateurs à être plus transparents, notamment sur leurs plaquettes d’informations, toujours très complexes à décrypter pour le grand public.
Mais l’Arcep se focalise également sur les nouvelles offres « quadruple play » intégrant une box (internet haut débit, téléphonie fixe illimitée et télévision) avec un forfait mobile. « Ces nouvelles offres couplées peuvent être sources d’efficacité et contribuer à l’amélioration des services rendus aux consommateurs. Elles ne peuvent donc être condamnées a priori. Néanmoins, ces offres présentent des risques majeurs tant pour le consommateur que pour la concurrence. »
Alors que le budget télécom des Français n’a jamais été aussi important – 113 euros par mois et par foyer consacrés aux télécoms et internet selon l’institut Idate – la vigilance reste de mise pour éviter les mauvaises surprises.
Le chiffre : 6
Euros> de différence. L’écart de prix entre un abonnement mensuel souscrit pour une durée de 12 mois et un autre pour une durée de 24 mois peut atteindre 6€ par mois.
La phrase
«L’opérateur n’a qu’une seule obsession, c’est de garder le client, de le garder enfermé, donc toute mesure visant à le libérer est de toute manière contournée». Edouard Barreiro,de l’association UFC-Que choisir
interview. «Le client n’a pas vraiment le choix»
Edouard Barreiro, chargé d’études à l’UFC-Que Choisir
L’Arcep estime que les opérateurs ne jouent pas suffisamment le jeu de la transparence et de l’information auprès de leurs abonnés. Partagez-vous ce constat ?
À l’UFC-Que Choisir, nous partageons les conclusions de ce rapport et nous trouvons même que l’Arcep ne va pas assez loin dans les mesures qu’elle propose. Le rapport pointe en tout cas plusieurs dérives des opérateurs que nous dénonçons.
Par exemple, certains opérateurs expliquent à leurs abonnés qui voudraient rompre leur contrat avant terme qu’ils perdraient leur numéro ; ce qui est faux, la portabilité du numéro vers un autre opérateur – qui ne dépend pas de la loi Chatel – est possible.
Autre exemple sur les durées d’engagement et de réengagement. Entre un abonnement sur 24 mois avec un nouveau mobile facturé moins de 100 € et un abonnement sur 12 mois avec le même mobile facturé 300 €, le client n’a pas vraiment le choix.
C’est pour cela que nous souhaiterions que la loi se cale sur la durée de 12 mois comme cela est le cas dans plusieurs pays, notamment scandinaves.
L’émergence de vrais opérateurs mobiles virtuels (MVNO) pourrait-elle introduire plus de concurrence ?
Oui à condition que ceux-ci puissent mener les politiques tarifaires qu’ils souhaitent, or ce n’est pas le cas actuellement. Les tarifs de gros auxquels les MVNO achètent des minutes de télécommunication aux grands opérateurs sont chez nous très élevés.
Par ailleurs, les MVNO doivent obligatoirement informer l’opérateur qui les héberge de tout ce qu’ils font.
Difficile dans ces conditions de mener des politiques tarifaires intéressantes. Il faudrait que les MVNO deviennent maîtres de certains éléments de réseau.
Propos recueillis par Philippe Rioux
Box internet : gare à la résiliation
Si les critiques de l’Arcep se sont essentiellement portées sur le mobile, les fournisseurs d’accès à internet (FAI) sont aussi dans le collimateur, notamment en ce qui concerne les frais de résiliation des contrats.
Depuis la loi Chatel, ces frais de résiliation appliqués par les opérateurs aux clients sur le départ doivent, en effet, correspondre aux coûts effectivement subis par l’opérateur du fait de ce désabonnement. Ces frais doivent être explicitement prévus parle contrat et dûment justifiés. Or aucun fournisseur n’apporte « précisément la preuve que les frais facturés correspondent bien aux coûts effectivement supportés » explique l’Arcep.
L’Autorité dénonce particulièrement la pratique de certains fournisseurs, comme Free, qui ont intégré dans leurs offres des « frais d’activation à perception différée. » « Ces FAI annoncent une offre commerciale caractérisée par l’absence conjuguée de durée d’engagement et de frais de résiliation. Cependant, l’offre comporte des frais d’activation des services dont le montant dégressif dépend de l’ancienneté du client, qui bénéficie d’une réduction forfaitaire par mois d’ancienneté. Toutefois, en pratique, le crédit s’imputant aux frais d’activation à perception différée est remis à zéro lorsque le client demande certaines opérations (changement de box, de forfait, déménagement) », note l’Arcep.
Pour pallier ce « manque d’information », l’Autorité recommande que les frais en cas de résiliation anticipée soient systématiquement mentionnés sur chaque facture.
Des mesures pour améliorer la loi
Pour améliorer la loi Chatel, l’Arcep propose plusieurs mesures.
> Mentionner sur les factures des abonnés le montant des frais dus en cas de résiliation.
L’Autorité recommande la mention, sur les factures mensuelles, des frais dus en cas de résiliation (éventuellement anticipée) à la date d’édition de la facture.
> Encadrer les modalités de résiliation des abonnements avant la fin du douzième mois.
Afin d’harmoniser la pratique de tous les opérateurs, l’Autorité recommande que les opérateurs permettent aux consommateurs de résilier par anticipation leur abonnement, avant la fin du douzième mois, moyennant, au maximum, le paiement des montants restant dus pour atteindre la fin du douzième mois d’engagement et du quart des montants dus au titre des douze mois suivants.
> Mentionner la procédure et le code de déverrouillage des terminaux mobiles sur les factures.
L’Autorité recommande que le code de déverrouillage des terminaux mobiles soit indiqué sur les factures délivrées à compter du sixième mois d’utilisation du forfait après l’achat. La procédure et les opérations associées devraient également être accessibles facilement – et de manière intelligible – aux abonnés, à la fois par internet et par téléphone, et dans le réseau de distribution de l’opérateur.
L’Autorité rappelle que les opérateurs pourraient, en lieu et place de la mise en œuvre d’une telle mesure, abandonner volontairement toute politique de verrouillage des terminaux, se libérant ainsi des obligations liées à leur déverrouillage. Ce serait une petite révolution.
Source : http://www.ladepeche.fr/article/2010/08/07/885615-Portables-abus-sur-toute-la-ligne.html