Le drame de l’amiante en France : comprendre, mieux réparer, en tirer des leçons pour l’avenir (rapport)
REPÈRES CHRONOLOGIQUES SUR L’AMIANTE
Du « magic mineral » à la pierre tombale
5500 (av. JC) : – en Carélie, nos ancêtres du néolithique utilisent déjà des fibres d’amiante, ajoutées à un mélange d’argile et de limon, pour fabriquer des poteries servant à la cuisson des aliments ; 1er siècle : – Pline l’Ancien mentionne les dangers de l’amiante chez les esclaves romains ; 9e siècle : – Charlemagne intrigue ses invités de marque en faisant jeter les nappes d’amiante au feu pour les nettoyer ; 13e siècle : – Marco Polo rapporte la même scène dans le récit de son voyage en Sibérie orientale ; 1826 : – le chevalier Aldini, colonel des pompiers de Rome, professeur à l’université de Bologne, imagine d’utiliser l’amiante dans la confection d’un vêtement propre à faciliter l’attaque des incendies ; 1829 : – le physicien et chimiste anglais Faraday, lors d’une démonstration à l’Institut royal de Londres, encourage chaleureusement son homologue italien ; 1862 : – l’amiante canadien est présenté à l’Exposition internationale de Londres ; 1865 : – le dictionnaire Larousse présente l’amiante comme un gadget : « On en fait des tissus, des mèches, des dentelles, du papier et du coton incombustibles, mais les objets ainsi obtenus n’ont jamais été que des curiosités » ; 1868 : – l’Italie extrait déjà 200 tonnes d’amiante ; 1877 : – l’exploitation des gisements d’amiante débute au Québec après la découverte de Fecteau ; 1879 : – John Bell présente les applications de l’amiante pour le confinement des machines, qui sont rapidement adoptées par les marines anglaise et allemande : le « magic mineral » devient le « compagnon de route du capitalisme industriel » ; 1883 : – l’extraction de l’amiante commence dans la province du Cap ; 1884 : – 100 tonnes d’amiante canadien sont livrées à la fabrique de Rochdale en Angleterre qui donnera naissance à la société Turner and Newhall, l’un des quatre grands trusts mondiaux de l’amiante ; 1885 : – les gisements de l’Oural commencent à être exploités ; 1899 : – le Dr Henri Montagne Murray à Londres fait la première observation d’un décès lié à l’amiante : il diagnostique une fibrose pulmonaire d’origine mystérieuse chez un ouvrier ayant travaillé pendant quatorze ans dans l’atelier de cardage d’une filature d’amiante ; 1900 : – l’Autrichien Ludwig Hatschek dépose un brevet relatif à la fabrication de produits en fibrociment, qui sera utilisé notamment par Eternit et Saint-Gobain ; 1906 : – le ministère du travail est créé ; – le Sénat vote le 10 juillet le principe du repos hebdomadaire ; 1918 : – les compagnies d’assurances américaines refusent d’assurer les travailleurs de l’amiante ; 1922 : – la société Eternit France est créée par l’industriel Georges Cuvelier ; 1924 : – Nellie Kershaw, entrée comme bobineuse en 1917 à la filature d’une fabrique d’amiante, ultérieurement reprise par la Turner and Newhall, meurt par étouffement à 33 ans d’une « fibrose pulmonaire causée par l’inhalation de particules minérales » ; dix ans après la mort de Nellie, la Grande-Bretagne fera entrer l’asbestose dans le champ des maladies professionnelles indemnisables ; 1927 : – le filon d’amiante de Canari, au Cap corse, découvert par le géologue suisse Eggenberger, est mis en exploitation par l’industriel Georges Cuvelier, fondateur d’Eternit France ; 1930 : – l’amiante est enfin inscrit à l’ordre du jour de la conférence internationale consacrée à la santé des mineurs ; depuis 1910, la production mondiale d’amiante est passée de 128.000 à 339.000 tonnes ; 1931 : – la Grande-Bretagne édicte une première réglementation limitant l’empoussièrement dans les usines ; deux Britanniques, Klemperer et Rabin, découvrent le mésothéliome ou cancer de la plèvre ; 1943 : – la Turner and Newhall et huit autres industriels de l’amiante confient une première étude expérimentale sur les pathologies de l’amiante à un laboratoire américain : 80 % des souris testées développent un cancer du poumon en moins de trois ans. Les résultats de cette étude resteront secrets ; 1945 : – l’ordonnance du 2 août crée le tableau n° 25 des maladies professionnelles reconnaissant les fibroses pulmonaires consécutives à l’inhalation de poussières renfermant de la silice ou de l’amiante ; la revue « Archives des maladies professionnelles » signale déjà deux cas de cancer lié à l’asbestose ; 1946 : – les États-Unis édictent une réglementation limitant l’empoussièrement dans les usines ; 1950 : – le décret du 31 août crée le tableau n° 30 qui reconnaît l’asbestose comme maladie professionnelle ; 1954 : – John Knox, médecin du travail de l’usine Turner and Newhall de Leeds, confie à l’épidémiologiste Richard Doll une étude sur les ravages du « magic mineral » ; 1955 : – en dépit des pressions des industriels, l’étude épidémiologique de Richard Doll est publiée dans le « British Journal of Industrial Medecine », prouvant le lien entre amiante et cancer du poumon ; 1956 : – un courrier entre les responsables de la Turner and Newhall et la société « L’amiante et ses applications » (Ferodo) évoque les dangers pour les populations vivant aux abords des usines, lors du choix d’un site français de transformation des fibres ; 1960 : – l’étude du docteur Wagner confirme que l’amiante est à l’origine du mésothéliome qui touche les mineurs en Afrique du Sud et révèle que le cancer de la plèvre atteint aussi les riverains des usines ; elle dénombre 33 cas de mésothéliomes dans la population des mineurs d’amiante dans la province du Cap ; 1962 : – dans une réponse adressée à la Présidence de la République, Raymond Barre, directeur de cabinet du ministre de l’industrie, plaide la cause des industriels concernant les problèmes de pollution nés de l’activité de la société minière de l’amiante à Canari, en Corse ; 1964 : – la conférence internationale sur les risques liés à l’amiante se réunit à New-York sous l’égide de l’académie des sciences ; les actes de cette conférence sont consultables dès 1965 à la bibliothèque de la faculté de médecine de Paris ; – le pneumologue Irving Selikoff, directeur de la division de médecine expérimentale du Mount Sinaï Hospital de New-York, publie la première grande étude épidémiologique, à la demande du syndicat des ouvriers de l’isolation ; – le Sud-Africain J.G. Thomson retrouve des corps asbestosiques dans les poumons d’un habitant sur quatre autopsié dans la province de Captown ; 1965 : – le premier cas de mésothéliome pleural, diagnostiqué par le Français Jean Turiaf, est décrit dans le bulletin de l’Académie de médecine ; 1968 : – deux chercheurs britanniques, Morris Greenberg et T.A. Lloyd Davis, étudient les cas recensés dans le registre anglais des mésothéliomes et dénombrent 38 cas sans exposition à l’amiante, mais ayant habité au voisinage des sites de transformation (voisins, femmes et enfants d’ouvriers de l’amiante contaminés notamment par un contact avec des vêtements de travail) ; 1971 : – les industriels anglo-saxons et européens de l’amiante se réunissent à Londres pour bâtir une stratégie qui leur permettra de continuer à utiliser le minerai ; – le Comité français d’étude sur les effets biologiques de l’amiante (COFREBA), premier lobby de « l’or blanc », est créé ; 1973 : – les premiers procès ont lieu aux États-Unis ; 1974 : – quatre trusts contrôlent 50 % de la production et 25 % de la transformation de l’amiante dans les pays occidentaux : John-Manville (États-Unis), Turner and Newhall (Grande-Bretagne), Cape Ltd (Grande-Bretagne), Eternit (Belgique) ; 1975 : – les chercheurs du campus de Jussieu découvrent que leurs locaux universitaires sont pour une large part isolés à l’amiante et révèlent la situation des usines de transformation ; le collectif inter-syndical sécurité des universités Jussieu est créé (CFDT, CGT, FEN) ; 1976 : – le tableau n° 30 des maladies professionnelles est modifié et prend en compte le cancer du poumon et le mésothéliome ; 1977 : – le professeur Jean Bignon adresse au Premier ministre, Raymond Barre, une lettre dévoilant l’ampleur de l’hécatombe attendue : la chambre syndicale de l’amiante et le syndicat de l’amiante-ciment l’accusent dans un livre blanc de vouloir faire fermer les portes des industries de l’amiante, du bâtiment, de la mécanique, de l’automobile et de la construction navale ; – l’arrêté du 29 juin interdit le flocage dans les immeubles d’habitation et le décret du 17 août réduit la concentration d’amiante à laquelle les salariés peuvent être exposés dans les entreprises (deux fibres par cm3) ; 1978 : – le décret du 20 mars interdit les flocages contenant plus de 1 % d’amiante pour l’ensemble des bâtiments ; – selon une résolution européenne, « l’amiante est un produit cancérigène et toutes les variétés utilisées dans le marché commun présentent un danger pour la santé humaine » ; 1980 : – la chambre syndicale de l’amiante devient l’association française de l’amiante ; – l’acteur Steve Mac Queen meurt d’un mésothéliome à l’âge de 50 ans ; 1982 : – la société américaine Johns-Manville, plus importante entreprise mondiale dans le secteur de l’amiante, invoque l’article 11 de la loi sur les faillites pour se protéger des centaines de milliers de procès qui lui sont intentés ; – une convention relative au dépistage des flocages d’amiante dans les établissements scolaires est passée entre le BGRM et le ministère de l’éducation nationale ; – le Comité permanent amiante (CPA) est créé en France, ce lobby étant mis en place à l’initiative du directeur général de l’INRS ; outre les industriels, il réunit des scientifiques, des fonctionnaires des ministères concernés, des représentants d’organismes publics comme l’INC, l’INRS et des syndicats ; – un « Symposium mondial sur l’amiante » se réunit à Montréal ; 1986 : – la Chase Manhattan Bank poursuit la société Turner and Newhall en lui réclamant une indemnisation de 185 millions de dollars pour le flocage à l’amiante de ses locaux ; – le conseil d’administration de l’INRS se propose d’octroyer une subvention au CPA dans la perspective d’un nouveau colloque à Montréal : le délégué de FO, dont l’organisation ne participe pas aux travaux du CPA, s’y oppose ; 1989 : – Marcel Valtat, secrétaire général du CPA, envoie une lettre au Premier ministre Michel Rocard, ainsi qu’à sept ministres, sous l’intitulé : « Usage contrôlé de l’amiante : utopie ou réalité ? » 1991 : – la sécurité sociale n’indemnise que 492 victimes de l’amiante, dont 56 cas de mésothéliome : sur 10 000 cancers professionnels annuels, moins de 2 % sont indemnisés ; – l’Inserm recense 902 cas de mésothéliome, contre 300 en 1968 ; 1994 : – l’association française de l’amiante verse 700 000 F au cabinet Europaxis ; – le comité anti-amiante de Jussieu organise en mars une conférence à l’université de Paris VII, en présence d’experts étrangers, dont Julian Peto ; – Jean Bignon et Patrick Brochard publient en novembre une étude sur le campus de Jussieu ; le CPA organise une conférence de presse ; – les veuves de plusieurs enseignants du lycée professionnel de Gérardmer, décédés d’un cancer, déposent une plainte ; – les experts français se réunissent en décembre au ministère du travail et confirment les dangers de l’amiante ; 1995 : – le Lancet publie en mars l’étude de l’épidémiologiste Julian Peto qui révèle que le nombre de mésothéliomes est très élevé en Grande-Bretagne et aussi que ceux-ci se sont répandus bien au-delà des seuls salariés des usines de transformation de l’amiante, notamment chez les ouvriers du bâtiment ; – l’enquête de « Sciences et avenir » est publiée en mai ; – le CPA cesse de se réunir en septembre ; – le reportage d’Envoyé spécial, « Mortel amiante », est diffusé ; 1996 : – l’association nationale des victimes de l’amiante (ANDEVA) est créée en février ; le décret du 7 février oblige les propriétaires de bâtiments à réaliser un diagnostic sur la présence d’amiante ; – cinq malades, membres de l’ANDEVA, se portent partie civile et déposent une plainte contre X, le 25 juin ; – le rapport de l’Inserm, « Effets sur la santé des principaux types d’exposition à l’amiante », est rendu public le 2 juillet lors d’une conférence de presse ; – le ministre du travail et des affaires sociales, Jacques Barrot, annonce le 3 juillet l’interdiction de « la fabrication, l’importation et la mise en vente de produits contenant de l’amiante », à compter du 1er janvier 1997 ; – le Président de la République Jacques Chirac annonce dans son intervention télévisée du 14 juillet, qu’ « il n’y aura plus d’étudiants à Jussieu avant la fin de l’année » ; – le parquet de Paris ouvre le 6 septembre une information judiciaire contre X pour « blessures volontaires » à la suite d’une plainte déposée par un électricien atteint d’un mésothéliome de la plèvre : l’instruction débouche sur un non-lieu ; – l’amiante est interdit par un décret du 26 décembre : son utilisation est proscrite en France à partir du 1er janvier 1997 ; après l’Allemagne, l’Italie, le Danemark, la Suède, les Pays-Bas, la Norvège et la Suisse, la France est le huitième pays à interdire totalement l’amiante ; 1997 : – pour la première fois une entreprise, la société Eternit, est condamnée pour faute inexcusable, à la suite d’une plainte d’un salarié de l’usine de Vitry-en-Charollais ; 1998 : – le Canada dépose une plainte contre la France devant l’OMC pour avoir interdit l’amiante ; le 19 décembre, la France met en place la retraite à 50 ans pour les salariés exposés au moins 30 ans dans des entreprises où l’amiante a été utilisé ; – l’Institut de veille sanitaire (InVS) est créé ; 1999 : – l’Union européenne interdit l’amiante ; 2000 : – le tribunal administratif de Marseille reconnaît la faute de l’État ; l’OMC donne raison à la France ; 2001 : – le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) est créé ; les premiers procès contre la filiale américaine de Saint-Gobain (Certain Teed) s’engagent aux États-Unis ; 2002 : – dans plusieurs arrêts du 28 février, la Cour de cassation reconnaît la faute inexcusable de l’employeur pour les cas de maladie professionnelle : l’employeur a désormais une obligation de résultat concernant la prévention dans le cas des risques qu’il fait courir à ses salariés ; 2004 : – le Conseil d’État confirme la responsabilité de l’État dans l’affaire de l’amiante ; 2005 : – l’interdiction de l’amiante au niveau communautaire devient effective au 1er janvier ; – le Sénat crée une mission d’information commune sur le bilan et les conséquences de la contamination par l’amiante. |
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Voir le rapport :
LES TRAVAUX DE LA MISSION COMMUNE D’INFORMATION
Source : Sénat.