Affaire des fadettes : comment les opérateurs mobiles deviennent des indics

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   par Emilien Ercolani, le 05 décembre 2011 16:11

L’affaire Bettencourt a le mérite de nous apprendre comment les opérateurs (Bouygues, Orange et SFR) réagissent lorsqu’ils sont saisis par la police pour récupérer des « fadettes », qui sont des numéros de téléphones, des positions géographiques, des SMS/MMS, des comptes bancaires : négligemment. 

Vous pensiez avoir tout vu ? Détrompez-vous ! Nos opérateurs peuvent encore nous surprendre ! L’affaire Bettencourt est un terrain de jeu incroyable pour savoir qui fait quoi, comment, avec quels moyens. Premier visés : les opérateurs, auxquels la police peut demander des « fadettes », ces fameuses factures détaillées qui jouent des rôles cruciaux dans des enquêtes de grande ampleur comme celle susmentionnée. 

Concédons d’emblée que les opérateurs n’ont pas le moyen de s’opposer aux services de police lorsque ces derniers demandent des fadettes. Mais la manière dont ils le font est assez éloquente, si ce n’est scandaleuse. C’est Le Monde, sur son site, qui nous explique comment a abouti l’enquête de l’IGS (Inspection Générale des Services), dont le but était de trouver les sources des deux journalistes (Gérard Davet et Jacques Follorou), auteurs d’articles sur l’affaire Bettencourt. 

« C’est un plaisir de travailler avec Bouygues »

L’enquête a commencé de manière banale pour le commandant Nieto, avec une recherche sur Google, ce qui lui permet de trouver les dates de naissance des deux journalistes. Mais trouver un numéro de mobile est plus complexe : il faut passer par les opérateurs, et les «réquisitions sont toujours un peu fastidieuses », note le quotidien. Quoi qu’il en soit, la demande part chez les 3 opérateurs nationaux : seul SFR répond par l’affirmative, et fournit le numéro de Gérard Davet. Une simple demande de la liste des appels reçus et émis du 23 juillet 2010 au 1er septembre inclus, et la réponse arrive par mail trois jours plus tard : 1 450 appels pour le mois d’août, dont 1 000 SMS. Tout est classé dans « 42 feuillets de tableaux à 9 colonnes, qui recensent les appels, les SMS ou MMS envoyés ou reçus, le numéro de téléphone du suspect, celui de son correspondant, éventuellement celui d’un troisième interlocuteur, la date, l’heure, la durée de la communication, la cellule (la borne téléphonique utilisée) et le numéro IMEI du téléphone, c’est-à-dire l’International Mobile Equipment Identity, le numéro unique de chaque portable – pour connaître le sien, il suffit de taper sur son clavier *#06# ». 

Grâce à cela, la police sait tout, et notamment les lieux de chaque communication pour retracer ses déplacements. Là commence une nouvelle investigation pour identifier les titulaires des lignes correspondantes : « C’est un plaisir de travailler avec Bouygues : non seulement l’opérateur donne le nom et l’adresse du titulaire de la ligne, mais aussi sa date de naissance et son numéro de compte bancaire ». Mais à force de persistance, la police touche (presque) au but, avant de s’apercevoir (via Facebook notamment) que finalement, ce n’est pas le numéro de mobile de Gérard Davet, mais celui… de sa fille de 14 ans. 

Le numéro de Gérard Davet est finalement retrouvé, chez Orange cette fois-ci, « qui envoie 30 pages de listings, soit 116 numéros appelants ou appelés, d’un peu tous les opérateurs ». Après vérification des correspondants, « Il y a un peu de tout. Des avocats célèbres – dont Me Kiejman, à l’origine de la procédure – nombre de journalistes, des magistrats, des policiers de haut rang, le cabinet du ministre de l’intérieur et la présidence de la République ». 

Le fichier STIC révèle le bon numéro

Pendant ce temps, le commandant Nieto n’a toujours pas le numéro de Jacques Follorou, le second journaliste, alors il tape dans le tas et demande l’identification de 4 numéros attribués au Monde. L’un des numéros serait celui du journaliste, mais l’IGS se rend compte que ce n’est pas le bon, nouvel épisode, mais celui de la chef du service politique du Monde, Raphaëlle Bacqué. En fin de compte, c’est via le fichier STIC (le système de traitement des infractions constatées) que la police découvre le bon numéro. 

Rebelote : Orange fournit les fadettes, 82 copieuses pages de listing dans lesquelles on trouve « Beaucoup de sources du journaliste sont là, des avocats, des magistrats, le secrétariat général du gouvernement, des ambassades, Médecins sans frontières, des journalistes, des amis, ses enfants, le ministère de l’intérieur… ». Le 30 septembre 2010, Marie-Christine Daubigney, la procureur-adjointe, va plus loin et demande cette fois-ci le contenu des SMS échangés entre Jacques Follorou et la présidente de la 15e chambre du tribunal de Nanterre, Isabelle Prévost-Desprez, l’ennemie jurée du procureur Courroye.

Heureusement, cette dernière demande n’aboutira pas puisque c’est « techniquement impossible », indique Orange. L’enquête est close. 

Cette affaire montre bien que les informations fournies par des victimes dans leur déposition alimentent le fichier STIC et pourront être utilisées à leur insu dans de toutes autres affaires. Elle doit inciter à la plus grande prudence des usagers de mobiles quant à la communication de leur numéro de téléphone à des tiers ou, pire encore, à leur insertion dans des pages Web. Car c’est par ce précieux sésame que les enquêteurs pourront à peu près tout savoir sur le propriétaire du mobile avec la complicité active voire le zèle des opérateurs.

SOURCE : http://www.linformaticien.com/actualites/id/22486/affaire-des-fadettes-comment-les-operateurs-mobiles-deviennent-des-indics.aspx

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