Droit-médial.com
Écrit par Charles Duchemin |
Jeudi, 08 septembre 2011 06:35 |
Les frontières naturelles ou politiques de notre territoire n’ont pas empêché les légions romaines, les Huns ou les Vikings de fouler nos verts pâturages. La ligne Maginot, elle-même, n’a pas réussi à repousser l’envahisseur teuton. Mais en 1986, un gouvernement a réussi à interdire l’entrée du territoire à un nuage radioactif venant de Tchernobyl ! Il aura suffi de quelques décisions dans les salons feutrés de la République pour que cette page de l’Histoire de la France soit écrite. Les salades, les champignons, le lait français n’ont pas été contaminés par les retombées, évitant aux forces vives de l’agriculture et du commerce nationales quelques mois sans profits. Des élus courageux ont su dire “non” à ce nuage sournois qui avait réussi à faire interdire la consommation de ces produits dans les pays voisins de l’Hexagone au nom de la santé publique. Il y a quelques siècles, ce phénomène aurait été qualifié de miracle et les décideurs sanctifiés, mais, de nos jours, il n’est question que de la gestion responsable d’un nuage de particules radioactives francophobes que les autorités ont menée avec brio…
Le grand public découvrait à peine Internet quand, le 26 avril 1986, le réacteur flambant neuf d’une centrale nucléaire ukrainienne partit en fumée. Pas de réseaux sociaux, pas d’accès à des sources d’information indépendantes, seuls les journaux télévisés de deux grandes chaînes de l’époque (le 19/20 de FR3 n’a commencé que le 6 mai 1986) et les grands quotidiens, habitués à taire grands et petits secrets d’État, étaient là pour apporter la bonne parole à une population naturellement inquiète. Les fidèles de la grand-messe du 20 heures ne pouvaient pas douter du professionnalisme de journalistes tels que Marie-France Cubadda ou Jean-Claude Bourret pour TF1, Bernard Rapp ou Claude Sérillon pour Antenne 2, sur les plateaux desquels les experts gouvernementaux se succédaient pour expliquer que tout allait bien.
Dans un pays dont les dirigeants successifs avaient fait le choix du nucléaire et souhaitaient vendre sa technologie, pas question de penser que cette énergie pouvait comporter des risques pour le territoire national. D’autant plus que la France n’était (et n’est toujours) pas un pays où l’on pouvait imaginer que des malfaçons touchent une centrale nucléaire, comme c’était le cas pour la centrale de Tchernobyl. Impossible aussi de croire qu’une série d’erreurs humaines puissent entraîner la destruction de toutes les coques de protection mises en place et que la santé de tout un chacun puisse être menacée à 2000 kilomètres du lieu d’une telle catastrophe alors que la centrale la plus proche de Paris ne s’en situe qu’à quelques dizaines de kilomètres. Tout cela ne pouvait arriver (n’arrive et n’arrivera) qu’aux autres. C’est ce que se sont sans doute dit, en toute bonne foi, les ministres de l’époque.
D’ailleurs, la cour d’appel de Paris vient de leur donner raison. C’est en toute logique qu’elle a prononcé un non-lieu, le 7 septembre 2011, dans la seule affaire dans laquelle ce fameux nuage faisait de l’ombre au seul responsable poursuivi : le professeur Pierre Pellerin, 88 ans, ancien responsable du service central de protection contre les rayons ionisants (SCPRI). Un homme courageux qui a dû se rendre au tribunal n’ayant pas la chance de pouvoir rester chez lui faute d’être atteint d’anosognosie, mieux conservé en cela que le premier ministre de l’époque, Jacques Chirac, à qui l’on reprochait d’avoir dit que les retombées radioactives épargnaient la France. Il n’est pas nécessaire de poursuivre une enquête qui n’aboutira à rien puisque les analyses scientifiques, en France, ne permettent pas d’établir un lien entre le passage du nuage radioactif et des maladies de la thyroïde, comme le soulignaient les recommandations du Parquet.
Face à une telle injustice, ne faut-il pas conseiller au professeur Pellerin de porter plainte à l’encontre de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) qui en 2006 a publié des cartes montrant les zones du territoire national les plus exposées aux retombées de césium 137 ? Ne faut-il pas encourager ce scientifique à traîner en justice l’endocrinologue corse qui a osé suggérer une augmentation du nombre de cas de pathologies de la thyroïde après 1986 sur l’île de Beauté, particulièrement touchée ? Tout comme les laboratoires Servier ont réussi à faire condamner l’éditeur du Docteur Irène Frachon pour la couverture du livre dans lequel elle dénonçait le scandale du Mediator, Pierre Pellerin pourrait sans doute obtenir justice…
Mais en attendant, il faut rendre hommage aux hommes et aux femmes qui géraient les affaires de la France à cette époque, car ils ont su faire preuve de sang-froid face à ce nuage s’échappant d’un brasier atomique. Il est important de citer quelques-uns de ses élus que l’on ne remercie pas assez souvent : François Mitterand, alors président de la République ; Jacques Chirac, premier ministre, comme cela a déjà été dit ; Michèle Barzach, ministre de la santé ; Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur et bien d’autres ministres ou secrétaires d’État, comme Alain Juppé, Michèle Alliot-Marie, Gérard Longuet, André Santini et tous les autres.
Il faut se réjouir que, dans cette affaire, il n’y ait aucun responsable et aucun coupable, juste des “présumées” victimes. Il est vrai qu’après l’affaire du sang contaminé et de ses « responsables, mais pas coupables », qui avait touché le gouvernement sortant (celui de Laurent Fabius, auquel appartenaient Georgina Dufoix et Edmond Hervé), une nouvelle mise en cause du pouvoir politique aurait été des plus malvenue. Elle n’aurait pas empêché les uns et les autres de poursuivre leur carrière au plus haut niveau, mais elle aurait pu entamer la confiance sans faille qu’ont les citoyens en leurs dirigeants.
Quelles leçons tirer de ce passé ?
Les accidents nucléaires ne peuvent survenir qu’à des milliers de kilomètres de la métropole, l’accident de Fukushima en est la preuve.
Les techniciens français, dont la compétence est reconnue dans le monde entier, sont à l’abri de toute erreur humaine.
Si les autorités japonaises ont été assez naïves pour croire d’une seule coque pouvait permettre de confiner un réacteur, les autorités françaises ne font pas la même erreur. Les centrales françaises sont à double coque et leurs systèmes de sécurité sont à toute épreuve. Les experts sont formels sur ce point, aussi sûrs d’eux que l’était le professeur Pellerin quand il parlait des retombées radioactives.
C’est uniquement grâce à l’efficacité du formidable système de santé français que le nombre de cancers de la thyroïde a augmenté après 1986. Pour les experts de l’Institut national de veille sanitaire (InVS), établissement public placé sous la tutelle du ministère chargé de la santé qui a conseillé le gouvernement au moment de la grippe H1N1, c’est l’évolution des pratiques médicales qui a permis un meilleur dépistage de cette pathologie à l’origine de cette augmentation.
La justice française est des mieux armée et totalement indépendante pour gérer les affaires qui touchent à la santé publique, surtout lorsqu’elles s’accompagnent d’un volet politique.
Il n’y a pas eu de victimes de la catastrophe de Tchernobyl dans l’Hexagone grâce à des décisions gouvernementales, aussi discrètes que courageuses.
Douce France..
SOURCE : http://droit-medical.com/actualites/27-humeur/959-france-sans-nuage