Sophie Caillat | Journaliste
Une proposition de loi contre les nuisances électromagnétiques va être discutée cette semaine. Elle a été expurgée de tout ce qui aurait pu fâcher les opérateurs.
François Hollande regarde son smartphone dans les studios de Martinique première, le 4 juillet 2011 (Patrick Coppée/AFP)
Y a-t-il, en germe dans les ondes électromagnétiques, un potentiel « scandale de l’amiante » ? Au nom du principe de précaution, les écologistes ont déposéune proposition de loi, en décembre dernier, pour protéger le public des technologies sans fil. Le débat, qui démarre jeudi prochain au Parlement, est un pétard mouillé.
Il ne reste déjà presque plus rien du texte d’origine, après son passage mercredi en commission. Denis Baupin, vice-président Europe écologie – Les Verts de l’Assemblée nationale, résume :
« La logique du gouvernement est plus dictée par l’envie de développer les services en matière de nouvelles technologies que de protéger la population.
Nous, on pense que ce ne sont pas les opérateurs qui décident des politiques publiques. »
C’était pourtant écrit en toutes lettres dans l’accord de gouvernement PS-EELV, signé avant la victoire de François Hollande :
« Nous appliquerons le principe de précaution sur les champs électromagnétiques. »
Le principe de précaution, ôté du titre
Las, la commission des affaires économiques a dépouillé le texte de la députée Laurence Abeille (EELV) point par point, allant même jusqu’à faire changer son titre (le « principe de précaution » a disparu).
La niche parlementaire dévolue au groupe écologiste est déjà étroite (une journée par an pour 17 députés). Mais le sort que subit sa proposition de loi-phare en dit long sur le rapport de force que le gouvernement est en train d’imposer à son allié. Plus fort, la ministre de l’Ecologie Delphine Batho a l’intention de réglementer elle-même sur les seuils d’exposition, après la remise en juin 2013 d’un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), nous confirme son cabinet.
« Nous voilà revenus à avant 2009 et l’organisation du Grenelle des ondes », se désole Etienne Cendrier, porte-parole de l’association Robin des toits, qui milite depuis dix ans pour empêcher un « scandale sanitaire ».
« Et si la téléphonie mobile devenait un scandale sanitaire ? » de Etienne Cendrier, éd. du Rocher (RobinDesToits.org)
Pourtant, les champs électromagnétiques de radiofréquences, ont été classés en mai 2011 dans la catégorie « peut-être cancérogènes pour l’homme » par le Centre international de recherche sur le cancer de l’OMS. La seule mesure prise par la France depuis est d’édicter des règles de bonne conduite aux usagers des téléphones mobiles.
Pour la première fois donc, les pouvoirs publics allaient se doter d’outils coercitifs. Mais la volonté de ne pas fâcher les opérateurs, quicommencent à déployer la 4G, ajoutée à ce que Noël Mamère a appelé le « problème culturel [des écologistes] avec le reste de la gauche » ont eu raison de la promesse initiale.
Récit en trois moments d’un minutieux torpillage.
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Attendre… la fin des expérimentations
L’abaissement des seuils à 0,6 V/M serait possible, mais…
La pollution par les ondes a été l’une des grandes oubliées du Grenelle de l’Environnement, en 2007. Mais devant l’inquiétude des riverains d’antennes-relais, et les démontages ordonnés par la justice, la ministre Nathalie Kosciusko-Morizet avait voulu calmer le jeu. Et mit tout le monde autour de la table, dans une grand-messe qui s’est terminée par un claquage de porte d’une partie des ONG.
Principale avancée de ce Grenelle : la mise en place d’un comité opérationnel sur la diminution de l’exposition aux ondes électromagnétiques. Pilotée par l’Agence nationale des fréquences (ANFR) et le ministère de l’Ecologie, associant opérateurs et associations, une expérimentation a été menée sur la faisabilité d’une moindre exposition du public aux ondes. Les seuils maximum, actuellement situés entre 41 et 61 volts/mètre sont obsolètes : l’exposition moyenne du public est de l’ordre d’1 V/M.
Du coup, a été testé l’abaissement à 0,6 V/M, seuil déjà adopté par la ville de Salzbourg en Autriche et recommandé par le Conseil de l’Europe, au nom du principe de précaution. Les résultats de ces tests réalisés dans seize villes sont attendus pour juin, mais déjà disponibles pour : Paris, Grenoble et la commune rurale de Grandchamp (Morbihan). Prolème : ils n’arrangent pas les opérateurs et l’Agence nationale des fréquences va les retravailler. L’association Robin des toits a décidé de suspendre sa participation au groupe de travail, estimant, selon son porte-parole Etienne Cendrier, que :
« Le contrat initial n’est pas respecté : nous avions obtenu de haute lutte la reconfiguration, c’est-à-dire la reconstitution concrète de la baisse de l’exposition à 0,6 V/M et on voit que c’est possible. Or ils refusent de donner les résultats car ça ne les arrange pas.
A Paris, il faut multiplier par trois le nombre d’antennes, à Grenoble par 1,6, ils auraient préféré qu’il faille les multiplier par dix, ç’aurait été dissuasif. »
A l’Agence nationale des fréquences, le directeur de la stratégie, Bernard Celli, voit une « impossibilité pratique » à multiplier par trois le nombre d’antennes (il y en a déjà 60 000 en France), et craint que ça ne « renchérisse considérablement le prix des abonnements ».
Face à ce que Robin des toits qualifie de « sabotage », l’association annonce qu’elle ne « joue plus » et va reprendre les recours en justice contre les antennes.
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Attendre… encore les études sanitaires
Les effets sur la santé sont potentiels, mais…
Le rapport que va rendre l’Anses à l’été est le troisième sur le sujet depuis 2003. Un groupe de travail désormais pérenne va analyser la littérature scientifique récente. L’agence jure que ses experts sont dénués de lien d’intérêts avec l’industrie, mais la composition du groupe n’étant pour l’instant pas connue, il n’est pas possible de le vérifier.
L’agence espère arriver à une position tranchée, alors que les points de vue sont aujourd’hui irréconciliables entre :
- le rapport de Bioinitiative, un rassemblement de chercheurs sans lien avec l’industrie, selon lesquels « le risque biologique est clairement établi », même à faible exposition, avec des effets sur la fertilité, et sur la barrière hémato-encéphalique, et un risque accru de cancer du cerveau ;
- l’avis de l’Académie de médecine, publié en réaction et qui dit exactement le contraire : aucun risque, selon les pontes. Pas étonnant, puisqu’il est piloté par André Aurengo, qui a été membre du conseil scientifique de Bouygues Télécom.
L’Anses ne veut évidemment pas dire dans quel sens elle penchera, mais le chef de l’unité qui conduit l’évaluation, Olivier Merckel, nous confie que :
« D’après les études épidémiologiques, on est plutôt sur des risques faibles. A des niveaux de champs élevés on sait ce qui se passe (ça chauffe), mais LA question là c’est de savoir si la nature des signaux, modulés et par exemple avec des modulations différentes, a un effet sur le vivant, c’est la question.
Aucune étude sanitaire ne pourra être faite en préalable au déploiement de la 4G, on va analyser les modifications sur l’exposition que cela va entraîner, mais il n’y a pas encore d’étude biologique, ou sur le comportement des animaux. »
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Ne pas attendre pour retirer les mesures simples
Une à une, toutes les restrictions ont été retirées
La proposition pragmatique, lancée par Corinne Lepage en 2011, qui consiste à rendre l’oreillette obligatoire, ne figure même pas dans la proposition de loi de Laurence Abeille. L’interdiction d’utilisation pour les enfants n’existe pas, seule la publicité pour les moins de 14 ans est retenue.
L’idée d’interdire le WiFi dans les crèches et de le limiter dans les écoles, collèges et lycées a aussi été supprimée par le PS, pour ne pas contrarier leplan numérique de Peillon. Ce à quoi la députée Laurence Abeille répond :
« L’école numérique, ce n’est pas l’école du WiFi, on pourrait se connecter par câble, y compris pour les iPad, à terme. »
« On est pour la modernité ET la réduction des impacts, c’est comme quand on a imposé les ceintures de sécurité dans les voitures », ajoute son collègue Denis Baupin.
La mutualisation des réseaux, c’est-à-dire la possibilité pour les opérateurs, de partager les antennes (effective depuis l’arrivée sur le marché de Free, qui loue le réseau d’Orange), est une autre piste pour réduire l’exposition des populations. René Dutrey, adjoint au Développement durable de Paris et élu du XIVe arrondissement, est persuadé que :
« C’est l’avenir, cela permettrait d’abaisser le seuil à 0,6 V/m, et les opérateurs y ont intérêt car ils savent que la concurrence ne se joue plus sur la couverture mais sur les services. »
Mais l’article prévoyant un réseau unique a lui aussi été supprimé en commission.
Finalement que restera-t-il de ce qui devait être la grande proposition de loi écologiste de l’année ? Quelques mesurettes comme :
- la désactivation par défaut du WiFi,
- l’indication de l’émission électromagnétique sur tout appareil qui émet des ondes,
- une campagne de prévention sanitaire…
Bref, des broutilles. « Au moins, le débat aura été ouvert », se consolent des élus EELV.
Source : http://www.rue89.com/rue89-planete/2013/01/28/ondes-des-mobiles-wifi-comment-le-gouvernement-censure-les-ecolos-238960