Deux études ont confirmé, hier, que le médicament a tué plus de 500 personnes.
On pouvait imaginer qu’après l’affaire du sang contaminé, puis celle de l’hormone de croissance, et surtout avec la création des agences de sécurité sanitaire, les pouvoirs publics s’étaient donné les moyens de répondre efficacement aux dangers éventuels de certains médicaments ou pratiques médicales.
Patatras. Voilà qu’une nouvelle affaire leur explose à la figure : celle du Médiator, médicament coupe-faim produit par le laboratoire français Servier. Non seulement ce produit était inefficace, mais il se révèle dangereux. Hier, lors d’une réunion de la commission nationale de pharmacovigilance, deux études – l’une élaborée par la Cnam et l’autre par l’épidémiologiste Catherine Hill – confirment les premiers travaux qu’avait révélés le Figaro le mois dernier. Le Médiator serait bel et bien responsable de la mort de 500 à 1 000 patients. Et ce matin, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), fortement mise en cause dans la gestion de ce dossier, va annoncer une série de mesures, dont une campagne d’information pour rechercher tous les patients qui ont pu prendre ce qui ne devait être qu’un médicament de confort.
Hypertension.«Cette affaire est gravissime, explique le député socialiste Gérard Bapt, responsable de la mission santé sur l’assurance maladie. Non seulement elle met en cause gravement le laboratoire Servier, mais aussi l’Afssaps.» Réponse, hier, de Jean Marimbert, directeur de l’Afssaps : «Il est facile de réécrire l’histoire. Peut-être n’avons-nous pas été assez rapides, mais on ne pouvait inventer des données que l’on n’avait pas.» Certes… Mais il n’y a qu’en France qu’une telle catastrophe a eu lieu.
Reprenons. Jusque dans les années 1990, les laboratoires Servier étaient leader sur le marché des coupe-faim, type anorexigène (provoquant une anorexie momentanée), avec deux produits : l’Isoméride puis le Médiator. Rapidement, le premier se montre dangereux, provoquant, entre autres, de l’hypertension pulmonaire artérielle (HTPA). En France, il sera interdit, non sans mal, en 1997. Et le Médiator ? Il continue, du moins dans l’Hexagone, son petit bonhomme de chemin. De formulation chimique légèrement différente de l’Isoméride, il est proche de la famille des fenfluramines. On sait que le risque de HTPA peut exister, comme l’atteinte des valves cardiaques. Mais qu’importe, on continue. En 1999, la commission de transparence rend son avis. Service médical rendu du Médiator ? «Insuffisant.» Ce n’est pas grave, on continue, et on le rembourse à 65%. Il est normalement réservé aux diabétiques en surpoids.
Plaintes. En février 1999, un médecin, le Dr Chiche, fait une première déclaration d’insuffisance aortique chez un patient ayant reçu du Médiator. On continue. Alors que de nombreux pays, dont les Etats-Unis, retirent ce produit, les laboratoires Servier se démènent pour dire que le Médiator n’a rien à voir avec l’Isoméride. Plus de 300 000 patients en reçoivent chaque année. Pour un chiffre d’affaires de 300 millions d’euros.
Bien souvent, ce sont des généralistes qui en prescrivent, mano largo, en dehors des recommandations cliniques. Mais on laisse faire. Faut-il noter qu’alors, le directeur scientifique de Servier est aussi trésorier de la Société française de pharmacovigilance et de thérapeutique ?
Il faudra attendre 2009 pour que les choses changent, quand une pneumologue hospitalière de Brest, le Dr Irène Frachon, est étonnée par des patients qu’elle reçoit. «Rétrospectivement, c’était comme le nez sur la figure, et pourtant on ne le voyait pas», raconte-t-elle. En juillet 2009, une étude brestoise, faite sans moyens, tombe : «70% des malades souffrant d’atteintes inexpliquées de leur valve mitrale ont été exposés à une prise de Médiator.» En novembre 2009, l’Afssaps se décide à suspendre le Médiator. Comment justifier pareille lenteur ? «Nous n’avions, jusqu’à la fin 2008, qu’un seul cas confirmé de la valvulopathie cardiaque», se défend Jean Marimbert. «Et je ne pouvais pas prendre une décision sur ce seul cas. Mais c’est vrai, il nous a manqué des éléments de surveillance épidémiologique pour croiser les données.»
Une dizaine de plaintes ont été déposées. On attend la réaction de la nouvelle secrétaire d’Etat à la Santé, Nora Berra, qui a été pendant dix ans salariée de l’industrie pharmaceutique.
Source : http://www.liberation.fr/societe/01012302450-mediator-coupe-faim-dangereux-et-longtemps-tolere