08 FÉVRIER 2013 | PAR MICHEL DELÉAN
L’affaire est symptomatique de la difficulté éprouvée par les victimes du scandale sanitaire de l’amiante à obtenir gain de cause auprès d’une justice lente, débordée et inefficace.
Ce vendredi 8 février, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris vient de renvoyer sèchement dans ses cordes la juge d’instruction Marie-Odile Bertella-Geffroy, en charge de la plupart de ces dossiers au pôle santé du tribunal de grande instance de Paris.
Chargée de superviser et de contrôler le travail des magistrats instructeurs, la chambre de l’instruction a en effet délivré un non-lieu en faveur de Claude Chopin, qui avait été mis en examen sur des bases plus que fragiles.
En juin 1974, à l’âge de 25 ans, celui-ci avait été nommé par son père PDG de l’entreprise Amisol, à Clermont-Ferrand, responsabilité que le jeune homme n’a exercée que « contre son gré », selon lui, et pendant une durée de six mois.
Créée en 1909, Amisol était une manufacture d’amiante, où aucune mesure de protection des ouvriers aux fibres cancérigènes n’avait été prise. Plutôt que de désamantier ou de se mettre aux normes, l’usine a fermé ses portes fin 1974.
C’est en 1997 que l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva) et sept personnes physiques ont porté plainte à Clermont-Ferrand.
Claude Chopin était mis en examen en 1999 pour « empoisonnement, voies de fait, homicides involontaires, et abstention délictueuse alléguant de dommages résultant de l’exposition aux fibres d’amiante durant leur activité dans l’entreprise ».
L’affaire a été instruite lentement, pour être finalement “dépaysée” vers le pôle santé de Paris en 2006, où elle a naturellement été confiée à la juge Bertella-Geffroy, aidée d’un, puis deux collègues.
Le père de Claude Chopin, décédé en 1989, ne lui avait laissé aucune information ni aucun document, expliquait-il aux juges. L’instruction n’avançant plus, son avocat, Me Vincent Courcelle-Labrousse, a fini par solliciter un non-lieu devant la chambre de l’instruction.
L’arrêt de 23 pages rendu ce 8 février, que Mediapart met en ligne(on peut le lire ici), est passionnant. Il résume toute l’affaire, du drame sanitaire, avec les nombreuses alertes, l’indifférence coupable des dirigeants et des pouvoirs publics de l’époque, jusqu’aux lenteurs de la justice et aux attentes déçues des victimes.
Pour finir, la chambre de l’instruction a constaté que les faits remontaient à 1974 et que l’affaire ne pouvait ni être instruite plus longtemps, ni jugée en l’état. Les témoins sont morts ou en très mauvaise santé. Une partie des faits est prescrite. Quant à l’auteur présumé des infractions, sa responsabilité n’est pas établie.
En France, plusieurs dizaines de procédures judiciaires en lien avec l’amiante ont été ouvertes, mais aucune n’a débouché sur un procès. Selon les autorités sanitaires, l’amiante pourrait provoquer 100 000 décès d’ici à 2025.
Aussi courageuse que solitaire, privée d’enquêteurs en effectifs suffisants, la juge Bertella-Geffroy tient à bout de bras les plus gros dossiers de santé publique (sang contaminé, hormone de croissance, Buffalo Grill) depuis une vingtaine d’années. Des dossiers qui se sont souvent soldés par des fiascos.
La juge va devoir changer de fonctions le 3 mars prochain, atteinte par la limite de dix années au même poste (vice-président chargé de l’instruction) et malgré plusieurs requêtes auprès de sa hiérachie et du ministère de la justice, soutenues par FO-Magistrats et qui sont restées infructueuses. C’est dans ce contexte qu’est intervenue la mise en examen de Martine Aubry en novembre 2012.
Dans le cadre de notre partenariat avec l’émission Les pieds sur terre, Mediapart et France Culture donneront la parole aux anciens ouvriers de l’usine Amisol jeudi 14 février et reviendront également sur l’affaire Eternit, dont le procès en appel s’ouvrira en Italie ce jour-là.
Source : http://www.mediapart.fr/journal/france/080213/drame-de-lamiante-un-non-lieu-symptomatique