MEDIAPART 19 Mai 2011 Par Les invités de Mediapart
Alors que les risques sanitaires liés au téléphone portable sont désormais scientifiquement avérés, Étienne Cendrier, porte-parole de l’association Robins des toits, détaille les nombreux conflits d’intérêts qui minent le secteur au détriment de la santé publique.
L’affaire du Médiator a malheureusement rappelé que la décision publique pouvait être détournée et «captée» par des intérêts privés. Les technologies sans fil présentent le même tableau. En effet, les dangers engendrés par ces technologies sont désormais bien établis. Le rapport BioInitive de 2007 présente une synthèse complète des travaux en ce sens. L’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (AFSSET) a elle-même reconnu, dans son rapport de 2009, que des travaux scientifiques à la méthodologie incontestable aboutissaient à la conclusion d’effets néfastes. Enfin, l’étude Interphone parue en 2010 (ouvrir en pdf), montrant une augmentation des cancers du cerveau de 40% chez les «gros utilisateurs» du téléphone mobile, précisément du côté où le téléphone est utilisé, les «gros utilisateurs» étant ceux qui téléphonent… une demi-heure par jour!
Pourquoi a-t-on laissé une technologie dangereuse pour la santé se répandre aussi rapidement sans aucune restriction? La réponse réside d’abord, comme souvent, dans les intérêts financiers. L’Etat n’est pas neutre dans l’affaire, il vend les licences aux opérateurs. La quatrième licence de téléphonie mobile a été vendue pour 206 millions d’euros.
Elle réside ensuite dans les circulations de personnes entre les opérateurs et la sphère de décision publique. Il ne s’agit pas de mettre en doute la probité personnelle de tel ou telle, mais de montrer une stratégie voulue des opérateurs, tendant à l’exercice d’une influence sur la décision publique, par le recrutement d’anciens collaborateurs des décideurs publics. Opérateurs et décideurs publics sont ainsi du même «monde», un «entre-soi» au sein duquel on ne va pas se faire de mauvaises façons.
Le même mécanisme existe au sein du monde médical; l’activisme du professeur Aurengo sur le thème de l’innocuité des ondes pour la santé n’aura échappé à personne. Peu de gens savent peut-être, en revanche, que ce membre de l’Académie de médecine, qui a inspiré les communiqués rassurants de celle-ci, a longtemps été membres du conseil scientifique de Bouygues et de l’Association française des opérateurs mobiles, ainsi que du conseil d’administration d’EDF. La fondation Santé et radio-fréquences, censée étudier les liens entre les ondes et la santé, est financée pour une part significative par les opérateurs, lesquels disposent de sièges au conseil d’administration. Or, le conseil peut, à sa guise, infléchir ou supprimer un programme de recherche. Il n’y a rien d’étonnant, dès lors, à ce que rien de significatif ne soit jamais sorti de cette fondation.
De façon tout à fait éclairante, les seules «brêches» dans le dispositif visant à étouffer la mise en évidence des effets délétères des ondes pour la santé, sont venues de la magistrature, puisque de nombreux jugements, confirmés en appel, ont reconnu le risque et ordonné en conséquence le démontage d’antennes, ou interdit leur installation. Or, les opérateurs n’ont pu prendre pied dans la justice, protégée par des statuts rigoureux.
Mais s’il y a tromperie en France, dira-t-on, les faits devraient être mis en évidence à l’échelon international… sauf que le même mécanisme y est à l’œuvre. Ainsi, Mike Repacholi, coordonateur à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) du projet international pour l’étude des champs électro-magnétique, lequel aboutit à des conclusions rassurantes, n’a cessé d’être, à titre personnel, consultant rémunéré par les industries de l’électricité et de la téléphonie mobile.
Le Parlement européen s’est ému, dans sa résolution du 4 septembre 2008, de la montée en puissance des pathologies environnementales, parmi lesquelles l’électrosensibilité. Il a également constaté, dans la même résolution, que les limites d’exposition aux champs électro-magnétiques fixées pour le public sont obsolètes du fait de leur absence de révision depuis 1999. Il a réitéré l’expression de cette préoccupation le 2 avril 2009, soulignant que les compagnies d’assurance excluent le risque sanitaire associé aux ondes, de leurs polices d’assurance. Malheureusement, ces appels à la vigilance n’ont pas trouvé d’écho.
Mais s’il y a scandale, ne peut-on pas compter sur les médias pour les dénoncer? Pas davantage, car là aussi les opérateurs sont très présents, aussi bien auprès des chaînes de télévision dont ils possèdent une partie du capital, que de la presse écrite à qui ils achètent d’énormes espaces publicitaires.
De ce fait, des passages entiers du rapport remis par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur le Médiator, pourraient s’appliquer au sujet de la téléphonie mobile: notamment quand l’inspection dénonce «un principe de précaution fonctionnant à rebours». Ainsi, on demande vaguement d’autres études, ce qui permet de gagner plusieurs années pendant lesquelles des millions de forfaits sont vendus.
Théorie du complot? Non. La théorie du complot suppose l’existence de négociations secrètes, d’accords cachés, peut-être réels, mais impossibles à prouver ainsi, d’ailleurs, qu’à réfuter formellement. Ici, les faits, les chiffres, les nominations sont sur la table: tout est public, le conflit d’intérêt est objectif.
Marchands de peur? Non. Lanceurs d’alerte.