La qualité et l’indépendance de l’expertise en matière de sécurité sanitaire en France vont-elles être renforcées ou affaiblies par la fusion de deux des agences en charge de ce domaine ?
La question est posée après l’adoption en conseil des ministres, mercredi 17 février, de l’ordonnance instituant l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Le nouvel organisme résulte de la fusion de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) et de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset). L’Anses, la plus grande agence de sécurité sanitaire en Europe, sera opérationnelle à partir du 1er mai, indique Marc Mortureux, directeur général de l’Afssa, qui occupera les mêmes fonctions au sein de la nouvelle agence. Cette fusion soulève de nombreuses critiques. Au coeur des préoccupations, l’indépendance de l’expertise. Une question soulevée notamment en raison de la place que se réserve l’Etat, qui aura la majorité des voix au conseil d’administration (CA) de l’Anses, à l’inverse du schéma prévu par le Grenelle de l’environnement.
Dès le 19 novembre 2009, dans une lettre ouverte au premier ministre, les organisations syndicales (CFDT, CGT, CFE-CGC, CFTC) et les trois associations – l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva), la Fédération nationale des accidentés de la vie (Fnath) et France nature environnement (FNE) – représentées au conseil d’administration de l’Afsset ont émis « de sérieuses réserves à la fusion qui apparaît comme une régression majeure tant au plan des principes qu’à celui du fonctionnement. »
Effectifs.
En 2009, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) comptait 1 240 agents et l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset), 150. Sans compter les centaines d’experts extérieurs mobilisés ponctuellement pour les expertises.
Activité.
Une majorité des dossiers traités par l’Afssa concernent les avis rendus par la direction du végétal et de l’environnement sur les produits phytosanitaires (pesticides). L’agence délivre aussi les autorisations de mise sur le marché des médicaments vétérinaires.
L’un des gros dossiers gérés par l’Afsset touche aux radiofréquences (téléphones portables, antennes relais). L’organisme s’occupe d’un autre chantier sensible : les nanotechnologies.
« Au prix de bagarres »
Elles récidivaient le 14 décembre dans une lettre à Mme Yannick Moreau, présidente de la section sociale du Conseil d’Etat, en précisant que « les principes qui constituent le socle et la raison d’être des agences de sécurité sanitaire – l’indépendance vis-à-vis des producteurs de risques (les entreprises) et des gestionnaires de risques, et la séparation entre évaluation des risques et gestion des risques – ne sont pas respectés. » « Au prix de bagarres avec la tutelle ministérielle, nous sommes arrivés à ce que l’Afsset travaille sereinement et entende tout le monde », commente François Desriaux, membre du CA de l’Afsset au titre de l’Andeva. L’Afssa n’est pas sur le même modèle, poursuit-il. Il y a un va-et-vient entre ses responsables et la direction générale de l’alimentation au ministère de l’agriculture. »
François Fillon a aussi la lettre adressée, le 3 février, à l’initiative du député PS Gérard Bapt, par plusieurs parlementaires (PS, UMP, Union centriste et Verts). Les cinq sénateurs et députés soulignent un risque de « dilution (des avancées de l’Afsset) dans un ensemble où perdureraient des insuffisances de transparence et de débats contradictoires. » Ils s’inquiètent des risques de conflits d’intérêt « dans une agence assurant à la fois des activités d’expertise, d’évaluation et de gestion. Ainsi en est-il en matière de santé environnementale concernant les pesticides, par exemple, ainsi que pour les activités de gestion de santé animale et du médicament vétérinaire. »
« Il y a un verrouillage par le sommet alors que l’Etat a besoin d’une expertise indépendante pour gérer les crises sanitaires, dénonce André Cicolella, porte-parole du Réseau environnement santé. La récente expertise de l’Afssa sur le bisphénol A est une caricature. Un membre du centre technique de la conservation des produits agricoles, structure financée par les industriels de la conserve, siège dans le comité d’experts spécialisés (CES) »
Face à ces critiques, Marc Mortureux, directeur général de l’Afssa depuis août 2009, défend « un beau projet pour appréhender plus globalement la sécurité », avec « la grande ambition de faire référence du point de vue de la rigueur scientifique. La nouvelle agence sera en prise avec la société, aussi bien en amont de l’expertise que dans sa restitution. » « Nous avons été entendus sur différents points comme la nécessité de mieux séparer l’évaluation des risques et leur gestion, reconnaît José Cambou, la représentante de France nature environnement à l’Afsset. En revanche, la composition du CA continue de poser problème. » Les 36 membres du CA disposeront chacun d’une voix « à l’exception des représentants des ministères chargés de la tutelle qui disposent chacun de cinq voix. » Cinq ministères, avec huit représentants y siégeront. De plus, les syndicats regrettent la forte représentation patronale : neuf sièges sur 36.
M. Mortureux entend « respecter ce qui a été construit » et assure qu’il « n’y aura pas de dilution. » Ainsi sera mis en place un comité de déontologie et de prévention des conflits d’intérêts et des audits plus fréquents de l’Agence nationale du médicament vétérinaire seront réalisés.