Contester la constitutionnalité d’une loi : mode d’emploi

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Retour à la page d'accueil   Publié le 27/02/2010 à 19:44 – Modifié le 27/02/2010 à 20:16

Contester la constitutionnalité d'une loi : mode d'emploi
Tout justiciable va pouvoir contester une loi en saisissant, indirectement, le Conseil constitutionnel © AFP

La fiscalité, la législation sur l’environnement et le droit pénal seront, d’après les experts, les premiers sujets concernés par la « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC), qui ouvre l’ère des saisines du conseil constitutionnel par les justiciables. Ces derniers pourront, dès le 1er mars 2010, contester des lois portant atteinte à leurs droits et libertés garantis par la Constitution. « Jusque là, la constitution était une affaire de pouvoirs publics, souligne Guillaume Drago, professeur de droit public à l’université Paris II Assas. Avec la QPC, la constitution se rapproche des citoyens, elle est redevenue leur propriété ».

1) Quels types de lois peut-on contester devant les sages ?

Tous les textes votés par le Parlement (lois et ordonnances ratifiées par le Parlement) peuvent faire l’objet d’une QPC. Les dispositions règlementaires telles que les décrets et arrêtés sont exclus du champ de la saisine de même que les lois ayant déjà fait l’objet d’un recours par les parlementaires, ce qui est par exemple le cas de certaines dispositions de la loi pénitentiaire. Toutes celles qui ont déjà été déclarées conformes par le Conseil constitutionnel ne sont pas non plus contestables.

2) La loi contestée doit « porter atteinte aux droits et libertés » garanties par la constitution : qu’est-ce que cela signifie ?

« Payer trop d’impôts ne porte pas atteinte à nos droits et libertés », plaisante Marc Guillaume, secrétaire général du Conseil constitutionnel. Plus prosaïquement, le droit syndical, les droit de grève, l’égalité homme / femme, la liberté des médias et, d’une manière générale, toutes les lois se rapportant aux droits individuel, collectifs, sociaux, sont concernées. « Cela obligera les praticiens à bien connaître la jurisprudence du Conseil », Prévient Guillaume Drago.

3) Comment se déroule la procédure ?

On ne peut pas saisir directement le conseil constitutionnel d’une QPC. Celle-ci doit être présentée au juge au cours d’un procès, quel que soit le tribunal concerné – tribunal correctionnel, de police, d’instance, cour d’appel, etc. – à l’exception de la cour d’assises. Le mis en examen peut néanmoins contester une loi pénale contraire à l’un de ses droits fondamentaux pendant l’instruction.

Concrètement, le justiciable, par l’intermédiaire de son avocat -ou directement s’il se défend devant une juridiction n’exigeant pas la présence d’un avocat -communique au juge une note écrite et motivée expliquant la raison de la contestation. Sa QPC passe ensuite plusieurs filtres. Le juge devant lequel se déroule le litige vérifie si cette « question » est sérieuse et ne vise pas indirectement à retarder l’issue du litige. Puis il s’assure que la loi contestée n’a pas déjà été déclarée conforme à la constitution. Il sursoit ensuite à statuer jusqu’à la décision du conseil constitutionnel, et transmet la QPC à sa cour suprême (cour de cassation ou conseil d’Etat) qui, à nouveau,examine la QPC et apprécie son « sérieux ». Si tel est le cas, au bout de trois mois, la QPC est transmise au Conseil constitutionnel qui dispose de trois mois pour juger si, oui ou non, la loi est contraire à la constitution. Avis aux intéressés, l’audience devant le conseil est publique et pourra être retransmise sur son site internet.

4) Que se passe-t-il si la loi est déclarée inconstitutionnelle ?

Si le Conseil juge la loi conforme à la Constitution, le procès reprendra devant la juridiction saisie de la QPC. Dans le cas contraire, « le Conseil constitutionnel possède un véritable pouvoir d’abrogation de la loi », souligne Guillaume Drago. Il pourra délimiter les effets de sa décision en décidant par exemple que l’abrogation de telle loi sera effective six mois plus tard et ne s’appliquera pas aux procès en cours. En tout état de cause, « la décision rendue à la demande de l’un s’appliquera à tous les Français », assure le Bâtonnier de Paris, Jean Castelain.

5) Hormis les lois pénales, quels sont les domaines potentiellement visés par les QPC ?

Le champ des lois potentiellement contestables et immense, mais « un certain nombre de matières se prêteront plus naturellement à ce contrôle de constitutionnalité. Par exemple, les lois portant atteinte au principe de précaution inscrit dans la charte de l’environnement de 2005. Autre type de contentieux, le contentieux fiscal. Beaucoup de dispositions telles que celles relatives aux pouvoirs de l’administration fiscale en matière de contrôle chez les particuliers pourraient être contestées. Jusque là, les avocats utilisaient beaucoup la Convention européenne des droits de l’homme, à présent, ils utiliseront aussi des arguments fondés sur la constitution », indique Guillaume Drago. « On peut aussi s’attendre à ce que des lobbies, ONG ou associations de défense de causes collectives (droit des étrangers, protection du droit de l’environnement, droit des automobilistes) déclenchent des contentieux de masse dans le but de modifier la législation existante ».

Par ailleurs, d’aucuns redoutent que le Conseil constitutionnel soit amené à se prononcer sur la constitutionnalité de la loi Gayssot de 1990 qui érige en délit la contestation des crimes contre l’humanité parce qu’elle porterait atteinte à la liberté d’expression. « Il faudra alors faire en sorte de concilier des droits antagonistes, ou trancher entre liberté d’expression et l’apologie du racisme », concède le spécialiste.

Source :  http://www.lepoint.fr/actualites-societe/2010-02-27/contester-la-constitutionnalite-d-une-loi-comment-ca-marche/1597/0/428648

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