Médicaments : la liste noire

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LA-D-p-che-copie-1.png   Publié le 20/01/2011 10:15 – Modifié le 20/01/2011 à 10:27 | Jean-Pierre Bédéï, Jérôme Schrepf et S. B

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L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a publié sur sson site une liste de 59 médicaments sous surveillance./ Photo DDM

Après le scandale du Mediator, 59 produits dans le collimateur et un projet de loi sur la réforme de la pharmacovigilance devrait être présenté avant la fin de l’année. Le gouvernement veut accélérer l’indemnisation des victimes.

Le député UMP Bernard Debré a tiré la sonnette d’alarme à l’Élysée. « L’affaire du Mediator, ça va être explosif ! » a-t-il dit à Nicolas Sarkozy. Aujourd’hui, lors de ses vœux au personnel médical, le Président devrait évoquer le sujet. Le scandale du Mediator pose une double question de confiance. D’abord envers les médicaments. Ensuite envers les pouvoirs publics chargés de mettre en place et de contrôler le système de sécurité sanitaire. Dans ce dernier domaine, tout semble à reconstruire tant le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) s’avère accablant.

Selon le ministre de la santé, Xavier Bertrand, un projet de loi sur la réforme de la pharmacovigilance devrait être présenté « avant la fin de l’année ». Il devrait tenir compte du travail de la mission parlementaire qui vient d’être mis en place et du deuxième rapport de l’IGAS. La réforme devrait concerner notamment l’étanchéité des relations entre l’Agence de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) et l’industrie pharmaceutique, les déclarations d’intérêt, l’autorisation de mise sur le marché (AMM) et le système de remboursement des médicaments… En attendant, afin de limiter les risques, l’Afssaps devra remettre « avant fin janvier » un bilan des 76 médicaments qui font actuellement l’objet d’une procédure de suivi.

Hier, Xavier Bertrand a évoqué l’indemnisation des victimes du Mediator. La solidarité nationale ne doit pas « payer à la place du responsable », a-t-il déclaré, soulignant que « c’est le responsable qui devra assumer ».

Le ministre a proposé mardi aux associations de patients « l’utilisation d’un fonds existant, géré par exemple par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux et des affections iatrogènes, qui permettrait d’accélérer, d’anticiper l’indemnisation ». Et d’ajouter : « Cette indemnisation ne doit pas empêcher l’action judiciaire. »

Pour Martine Aubry, les propositions de Xavier Bertrand « vont dans le bons sens » mais sont insuffisantes. « Je pense qu’il ne va pas assez loin sur les conflits d’intérêts », juge-t-elle. Selon elle, il faut « interdire que des hommes et des femmes qui ont travaillé pour un laboratoire puissent travailler dans le ministère ou devenir membres d’un cabinet ou, encore pire, ministre ». Quant au laboratoire Servier, fabricant du Mediator, il est mis au ban du milieu médical. Le président des Entreprises du médicament (Leem) l’invite à démissionner des postes qu’il occupe au sein du syndicat patronal.

Le député PS Jean-Marie Le Guen a réclamé la suspension de son représentant au conseil de surveillance de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, jugeant que cette présence « pose aujourd’hui un problème de conflit d’intérêts ».

Jean-Pierre Bédéï

www.afssaps.fr/


reportage

Pharmacie : « Les patients nous font confiance »

Quand on prononce dans la même phrase les mots « inquiétude » et « médicaments », Corinne Trémon, pharmacienne à Agen et présidente du syndicat des pharmaciens de Lot-et-Garonne, tord un peu le nez. « Ici on ne ressent pas d’inquiétude de nos patients vis-à-vis des médicaments », assure-t-elle sans hésitation.

« Tout simplement parce qu’ils nous font confiance, tout comme ils ont confiance en leur médecin. Il faut dire aussi, qu’exceptés quelques scandales type Mediator, le système français est quand même très encadré, très sécurisé. » Elle passe en arrière-boutique et ouvre un classeur : « Dès qu’il y a un problème sur un médicament, on reçoit un avis. Que le médicament ne soit plus commercialisé ou qu’il s’agisse simplement d’un lot défectueux, on est informé et on retire les boîtes immédiatement. Le cas échéant on peut même rappeler nos clients pour leur demander de les ramener, mais c’est rarissime. »

Pour Corinne Trémon, une des raisons de cette confiance que ses clients lui accordent c’est « la vente encadrée » : « En France, les médicaments sont délivrés en pharmacie par quelqu’un qui a fait des études, qui connaît son métier et les produits qu’il vend. Il n’y a pas chez nous de vente sur internet ou en grande surface. »

Et si le pharmacien assure ne pas percevoir d’inquiétude, elle reconnaît tout de même une demande d’information accrue : « Certains s’informent, via internet c’est très facile, des effets secondaires des médicaments. Ensuite ils nous questionnent. Comme on nous questionne encore régulièrement, même si c’est passé désormais dans les mœurs, sur les génériques : « Est-ce que vous êtes sûrs que c’est le même médicament ? ». Alors on explique que oui, la molécule est la même. »

Précision importante apportée par la présidente du syndicat des pharmaciens, « nous n’avons pas le droit de modifier les prescriptions des médecins. Ce sont eux qui prescrivent les médicaments… »

Michel, 60 ans, client de la pharmacie, sourit : « Des inquiétudes par rapport aux médicaments ? Je vais vous dire, ça me fatigue. On vit dans une société où on n’accepte plus le risque où tout est interdit. Si certains savaient que le Mediator était mauvais pour la santé et qu’on l’a laissé en circulation, évidemment, il faut les poursuivre. Mais soyons sérieux. Ceux qui font l’objet d’un lobbying de la part des laboratoires, ce ne sont pas les pharmaciens. Ce sont les médecins. »

Jérôme Schrepf


Le chiffre : 76

médicaments> font l’objet d’une procédure de suivi. Un bilan de ces produits devra être réalisé avant la fin du mois.


La phrase

« L’indemnisation ne doit pas empêcher l’action judiciaire». Xavier Bertrand, ministre de la Santé


Expert : Catherine Lemorton députée PS de Haute-Garonne

« Un système inimaginable »

Si on avait suivi les préconisations de votre rapport parlementaire de 2008 sur la prescription des médicaments, le Médiator aurait-il dû être retiré ?

Oui. Il aurait dû être retiré à la fin de l’année 2008.

Qu’avez-vous découvert lors de votre mission parlementaire ?

J’ai appris que 90 % des consultations médicales sont suivies de prescriptions de médicaments, ce qui est le plus fort taux en Europe. Au fur et à mesure des auditions que j’ai faites du milieu médical, j’ai découvert des choses inimaginables, notamment un système où l’industrie pharmaceutique est à tous les niveaux de décision.

J’ai trouvé des conflits d’intérêts dans la Haute autorité de santé, à l’Agence du médicament, parmi les conseillers de Madame Bachelot qui était ministre, sans qu’ils soient déclarés. L’industrie pharmaceutique est également dans les couloirs des hôpitaux pour la formation de nos médecins. Elle finance les concours blancs des étudiants, le matériel de certains professeurs de CHU après le désengagement de l’État.

Comment a été accueilli votre rapport à l’Assemblée ?

Il est voté à l’unanimité en Commission des Affaires sociales à l’Assemblée, mais aucune de mes 92 préconisations ne sera ensuite reprise alors que j’en avais proposé quelques-unes dans le cadre du projet de loi de Finances de la Sécurité sociale en octobre 2008.

Pourtant certaines d’entre elles sont d’une brûlante actualité aujourd’hui : déclaration publique des conflits d’intérêts de tout expert qui s’explique publiquement sur la santé, comparaison de tout nouveau médicament avant sa sortie avec un médicament déjà existant pour la même maladie et qui a fait ses preuves; et là, on est au cœur du Médiator. Des députés de droite m’ont répondu à l’époque que trop de transparence crée le soupçon, et que ça déséquilibrerait tout le système…

Recueilli par Jean-Pierre Bédéi


« Des patients plus méfiants »

Comment un médecin généraliste peut-il protéger ses patients de médicaments qui s’avéreront plus tard dangereux ? Le Dr Bernard Ordono, président du syndicat MG France dans la Haute-Garonne, ne prétend pas détenir la formule.

« À ma connaissance, mes patients n’ont jamais eu de problèmes avec les médicaments que j’ai prescrits. Avec la formation médicale continue professionnelle, indépendante des laboratoires pharmaceutiques, on apprend à avoir une lecture critique de la pharmacopée. Et puis je ne prescris quasiment jamais un médicament qui vient de sortir. J’attends », explique-t-il.

Plusieurs exemples ont fait que le praticien n’avale pas facilement la pilule que lui présentent les visiteurs médicaux. « Le Celebrex, ou le Viox, des antiinflammatoires, ont été retirés du marché quelques années après leur autorisation », poursuit le Dr Ordono.

Il dit faire « partie des médecins à qui « le Médiator n’a jamais plu. C’est un dérivé amphétaminique, mais il n’a jamais été présenté comme tel. La réalité pharmacologique d’un médicament n’est pas toujours totalement éclairée par les laboratoires pharmaceutiques. Et c’est comme cela que l’on piège les médecins ».

Depuis le scandale, le Dr Ordono a reçu une patiente qui avait été traitée plusieurs mois avec le Médiator. Bien qu’elle aille bien cliniquement, il lui a prescrit une échocardiographie de contrôle.

Les patients deviennent méfiants.

S. B.

Source :  http://www.ladepeche.fr/article/2011/01/20/993816-Medicaments-la-liste-noire.html

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